Société & Civilisation

« Rien ne nous appartient. Donc tout nous appartient. »

C’était l’autre soir à Marly-Gomont, la centrale des caravanes. On descendait un godet à l’Estaminet Croûtepaille, la bière de lichen est pas raquante ces derniers temps, on en profitait... Y’avait Bernusse, y’avait Manu, y’avait le Balafré, y’avait Rousse- Moustache. Et y’avait moi.

Un type rentre. L’air d’un voyageur, comme y’en a palanquées à Marly. Un petit gros, le crâne nu comme un sein de vierge, un genre de chemise à carreaux de boucher. Et pis une chaîne de vélo toute rouillagée au licol. Et pis un pied-bot aussi. J’te l’dis passque ça pourrait avoir une espèce d’importance.

L’avait l’air sympa, l’gazier. V’là-t-y qui nous paie une pinte et pis dans la foulée on taille une bavette. Y nous raconte les nouvelles de Métro, de Relents, on lui parle de Noirmont-Ferrant où c’qui compte traîner ses guêtres. Genre vraiment le chic bonhomme, Hadjo-Lazari qu’il a dit s’appeler. On continue à discuter le bout de gras, tous bien humectés et l’cœur en joie qu’on est. Et pis au bout d’un moment, Hadjo-Lazari, qu’à pas arrêté de sourire comme un pape tout au long d’la soirée, v’là-t-y qui s’rembrunit et qui nous demande :

« Au fait, maintenant qu’on a fait connaissance, vous pourriez m’dire au moins vos blases ? »

Sûr qu’nous on lui dit nos blases alors, la belle affaire.

Le type y sort un papelard tout froissé d’son larfeuil et qu’il s’met à le bouquiner. Nous, tous nigauds de la lecture qu’on est, on l’regarde faire, sans piger c’que sa bafouille raconte. V’la-t-y qui commence à énumérer nos blases.

« Bernusse... non... Rousse-Moustache... non... Le Balafré... ».

Alors il ouvre des yeux touts ronds comme un greffier qu’aurait ferré une musaraigne et v’là-t-y qui s’lève... Nous on le regarde comme des couillons qu’on est, on attend.

Alors ce con, il saute su’l’Balafré, il le plaque sur la table, il lui colle tout son poids sur le dos et avec sa chaîne de vélo, il lui chope le cou comme tu choperais un lapin ! Y serre comme une brute, l’Balafré s’débat comme y peut, y gueule un grand coup et pis crac, un bruit sale, son cou y pète !

Hadjo-Lazari lâche le Balafré, qui s’vautre par terre, tout bleu. Nous, on sort nos surins. Mais pas fous, on attaque pas le type. Il a zigouillé l’Balafré comme tu descends une binouze, quand même !

Moi, j’y demande : « Mais t’es vraiment cintré d’la cafetière ! Pourquoi tu l’as buté ? ».

Et l’autre me répond, tout calme : « Désolé, les gars, il était sur ma liste. ».

Y pose des caps pour payer des bières et y s’arrache du rade, avec son pied-bot qui fait clop, clop. On l’a jamais revu dans le secteur mais j’regrette pas sa bouille...

Ce chapitre expose dans le détail le fonctionnement de la civilisation humaine dans le territoire de l’Europe post C-Day. Priorité donc sur l’humain : Homo Sapiens Sapiens, sa condition et son mode de vie dans une Europe post-apocalyptique et forestière, théâtre dont il fut à la fois la victime et en partie l’instigateur.

Le propos sera concentré sur ce qui fait la spécificité de cette population humaine européenne du XXVème siècle.

Parfois absurde, souvent meurtrie, quelquefois révolutionnaire, l’humanité se remet d’un traumatisme ultra-violent. Des communautés se mettent en place non sans heurts, dans un bouillon de culture social sans précédent. Entre tradition, réinterprétation du passé et incertitude face à l’avenir, une nouvelle culture émerge. Dans l’ombre, des sociétés secrètes œuvrent à des travaux mystérieux, préparant le futur Millevaux.

Des plages arides de la Mer des Tyrans aux taïgas anarchiques de l’Oural, c’est une Europe métissée et métamorphosée à l’extrême qui triomphe ou succombe à la forêt.

Une humanité amputée

Pour bien comprendre l’humain dans Millevaux, il faut d’abord saisir sa spécificité profonde : un traumatisme aussi puissant qu’il est souterrain.

Une démographie réduite à peau de chagrin

Les cataclysmes qui suivirent C-Day (attaques nucléaires et thermiques, bombes paradoxales, séismes, métamorphoses monstrueuses de l’écosystème, famines, épidémies et guerres) ont bel et bien failli supprimer toute vie humaine d’Europe.

La zone européenne « Grenier Planétaire » était densément peuplée. En 2210, très peu ont survécu. Depuis, la population s’est faiblement au même niveau, avec une démographie de type tiers- monde : de nombreuses grossesses par femme, de nombreuses morts infantiles, une population jeune. Très peu de personnes dépassent les 40 ans.

Les grandes mégalopoles telles que Paris, Madrid, Londres et Berlin ont été rayées de la carte en 2200.

Aujourd’hui, Millevaux est un monde désert. Hormis quelques zones de forte densité de population, on peut voyager pendant des lieues et des lieues sans rencontrer âme qui vive.

Une humanité avilie

Au lendemain de C-Day, les technologies de destruction massive mises en œuvre furent d’une barbarie sans précédent. Macro-bombes à hydrogène lancées sur les plus grandes villes, attaques bactériologiques, virus à ARN transcriptase inverse, énergie paradoxale (qui crée une faille entre les dimensions), spores-démons du Bouc Noir aux Mille Chevreaux.

« Tous n’en mourraient pas mais tous étaient malades », disait Camus dans La Peste. Tant il est vrai que les survivants étaient marqués dans leur chair et dans leurs gènes. Naissance d’enfants monstrueux (mutations séminales, génétiquement transmissibles), mutations somatiques. Altérations de l’épiderme, difformités, carences psychomotrices, - et même, dans une très faible mesure, pouvoirs paranormaux - furent le lot des rescapés. Sur des générations et des générations, le stigmate de C-Day se transmit, écho amplifié de l’horreur qu’on connut jadis à Tchernobyl, Bhopal ou Hiroshima.

Outre ce brutal bouleversement du génome humain et la présence encore, deux siècles plus tard, de nombreux agents mutagènes, l’humanité en Europe a également suivi une évolution endémique, plus darwinienne, en s’adaptant à son écosystème. S’il fallait comparer l’homme européen moyen du XXIIème siècle et celui du XXVème siècle, on constaterait que le second est moins intelligent. Il est plus trapu, a une arcade sourcilière plus prononcée, a davantage de masse osseuse et musculaire et des sens plus affûtés. Le premier était un intellectuel physiquement faible, le second est devenu un chasseur davantage soumis à ses instincts.

Toutefois, on parle toujours d’Homo Sapiens Sapiens. Les millevaliens sont interfertiles avec les humains de l’extérieur. C’est toujours l’espèce humaine mais telle qu’on peut la voir à l’amorce de sa chute, en attendant le retour au monde animal qu’annoncent certains prophètes.

Khermia Ardinhipâl, la Femme aux Deux Visages

Khermia est née en Afrique du Nord avec deux visages qui peuvent se’ xprimer et parler de façon autonome.

Dès son plus jeune âge, elle fut vénérée comme une divinité incarnant la dualité. Elle a maintenant l’âge de 20 ans et règne sur une secte très puissante à Carthage.

L’oubli

Au soir même de son anéantissement, l’Europe d’après C-Day devait encore subir une dernière humiliation. Les miasmes des missiles Alexandre II retombèrent sur les survivants. Le virus à ARN transcriptase inverse toucha la population, remaniant le génome humain de façon à altérer les fonctions mémorielles du cerveau. Cette affection héréditaire concerne encore en 2400 la grande majorité des européens.

L'oubli se caractérise par une défaillance de la mémoire émotionnelle. Celle-ci est déficiente à long terme alors que les centres nerveux liés à l’apprentissage, la mémoire immédiate, les instincts et les fonctions psychomotrices ne sont pas atteints. Les pertes de mémoire concernent en premier lieu la mémoire épisodique (exemple : on oublie avoir participé à une bagarre dont l’on n’est pourtant pas ressorti indemne) et ensuite la mémoire affective (exemple : on oublie qui est sa mère, on ne se rappelle plus de quelle femme on est amoureux).

Parfois, les émotions subsistent alors que leurs origines ont été oubliées (ainsi, on peut être affligé d’une phobie sans ce rappeler ce qui l’a provoquée). Ces troubles de la mémoire sont surtout marqués à long terme. Plus les événements sont reculés dans le temps, plus ils auront tendance à disparaître de la mémoire.

Dead zone mémorielle = 3 ans

Cela signifie que pour le millevalien moyen, il est impossible de remonter plus loin que 3 ans dans sa mémoire sans se heurter à des souvenirs extrêmement flous, pour aller jusqu’à l’amnésie totale. Rappelons que cette amnésie ne concerne que la mémoire émotionnelle et épisodique. Les connaissances théoriques et pratiques sont nettement moins affectées. Cependant, il s’avère impossible d’assimiler et de maîtriser les savoirs les plus complexes (mathématiques non euclidiennes, théorie du champ unifié, informatique de pointe, philosophie...).

Chez certains cas, l’affection peut s’aggraver. Ainsi, un choc physique, un choc psychologique, un coma peuvent provoquer une amnésie totale instantanée. Certaines personnes présentent également des troubles de la mémoire immédiate. On oublie où on vient de ranger ses affaires, on donne rendez-vous à quelqu’un pour le lendemain et on oublie entre temps ce rendez-vous. On ne reconnaît plus une personne qu’on a croisée la veille.

L'oubli a une influence majeure sur la vie quotidienne et sur la civilisation en général.

Le meilleur palliatif à ce trouble est la répétitivité. Les personnes très sédentaires, vivant en communauté, sont moins affectées. Difficile d’oublier le nom et le visage de ses enfants quand on les voit tous les jours ou d’oublier l’art de la forge si on le pratique assidûment. Dans les villes ou les villages, une forte tradition orale s’est développée. Lors des veillées, les gens évoquent leurs souvenirs ou racontent des histoires en groupe, constituant une sorte de mémoire collective qui pallie aux défauts de la mémoire individuelle. C’est également dans ce sens qu’a émergé une grande tradition de proverbes, dont le plus connu : « Oublier est plus naturel que de se souvenir ». La plupart des gens sont conscients du problème. Chacun cherche une solution à sa misère personnelle. Certains scandent à haute voix des détails de leur vie pour se les remémorer de force, d’autres se font tatouer les informations les plus cruciales de leur vie.

À l’inverse de ceux qui fonctionnent en communauté, les nomades sont les plus grandes victimes de l'oubli. Pour eux, pas de repères fixes pour aider la mémoire, pas d’ami d’enfance pour vous rappeler les bons moments. La dead zone mémorielle fonctionne à plein. Ils sont condamnés à errer sans jamais vraiment savoir qui ils sont, changeant de nom, de vie et de philosophie au gré des courants.

La Société des Gnomes

Certains rescapés de C-Day ont résisté au virus de l’oubli. Ils ont réalisé à quel point les autres hommes étaient amoindris et compris que l'oubli était héréditaire.

Ils décidèrent alors de ne se reproduire que’ ntre eux. Craignant d’être accusés de sorcellerie, ils ne révélèrent pas aux « Alzheimer » qu’ils avaient été épargnés. Ils fondèrent une société secrète qui a perduré jusqua’ ujourd’hui.

Leurs descendants sont petits et difformes à cause des liaisons consanguines sur des générations, si bien qu’ils se désignent comme des « Gnomes ». La Société des Gnomes regroupe des érudits, des savants et des artisans de grand mérite.

Exemple de 2 destins sous le sceau de l'oubli

* Nez Cassé, de la famille Forgeux

Il vit à Noirmont- Ferrand depuis sa naissance. Il a 5 frères et sœurs qu’il fréquente quotidiennement, avec qui il se remémore beaucoup d’anecdotes de sa jeunesse.

Son travail à la forge, le même depuis des années, est un excellent support pour la mémoire. L’équipe n’a jamais changé. Les clients apportent leurs lots de nouvelles et d’histoires. Nez Cassé se rend régulièrement à la paroisse nestorienne de son quartier. Les séances de prière cèdent parfois la place à de longues veillées, où trouvères, anciens et voyageurs content les récits d’ici ou d’ailleurs. Nez Cassé s’appelle ainsi depuis qu’un chariot lui a heurté le visage quand il avait 5 ans. C’est un prénom bien commode à retenir. Ceux qui ne le connaissent pas l’appellent ainsi instinctivement. Nez Cassé courtise Gibeline, la fille du charpentier, depuis bientôt trois ans.

* Verner Batignolles

C’est un ancien membre de la Caste des Nettoyeurs, qui sévissait à Metro il y a quelques années. Les notables de la ville le payèrent pour trahir son chef, le terrible Nihil Pied-Bot. Il l’occit en combat singulier et prit la fuite. Maintenant, il erre dans les forêts du Massif Central, il ne se souvient plus du tout de son passé au sein de la caste. Il s’appelle maintenant le Balafré, à cause de l’hideuse cicatrice qui lui court sur le visage. Mais il ignore quand il a eu cette blessure (c’est en fait Nihil Pied- Bot qui l’a défiguré avec sa faux). Il pense être un chasseur, du moins vit-il ainsi. Il ne se connaît pas d’ennemis. En revanche il se souvient qu’il aurait tout à craindre de rencontrer un homme avec un pied-bot...

La Conscience de l’ « Avant »

À long terme, la plus grande conséquence de l'oubli fut la suivante : les origines de Millevaux disparurent de la mémoire collective.

Infiniment rares sont ceux qui savent que l’Europe n’a pas toujours été ainsi. Rares qui ont entendu parler du cataclysme de C-Day. Et encore plus rares ceux qui pourraient décrire le monde tel qu’il était avant.

Pour la plupart, Millevaux est tel qu’il fut de toute éternité. Il n’y a rien en dehors de la forêt. Ceux qui vivent loin des littoraux pensent même que la mer n’existe pas. Ils ignorent où vont se jeter les rivières et les fleuves, sinon dans des abîmes au cœur du monde. Pour les privilégiés, ceux qui étudient les reliques ou les Gnomes ou les Neandertal (puisque le virus était conçu pour les épargner), il y a une obscure conscience de « l’Âge d’Or ». Mais cette connaissance reste parcellaire. La plupart des archives furent détruites pendant le cataclysme. Souvent, les textes du passé ou l’utilité des reliques sont interprétés à tort et à travers.

Ces privilégiés, volontairement ou non, ont laissé filtrer des informations sur l’Âge d’Or. Les témoignages sur cette époque ont été transposés dans les récits des rhapsodes, devenant un corpus de légendes chimériques... Mais ce ne sont que des légendes, n’est-ce pas ?

Communautés

« Plutôt la Corrèze que le Zambèze ! »
(slogan poujadiste)

Un terreau stérile

Deux ans après C-Day, les survivants osent enfin sortir des abris souterrains. À la surface, pas âme qui vive. Leurs implants neuronaux ne captent plus un seul réseau. Presque toutes les infrastructures sont détruites ou hors d’usage. La forêt mutante, d’abord sous forme de friche, puis bientôt de jungle, transforme tout déplacement en parcours du combattant.

Ces survivants sont désespérés. Ils ont épuisé les réserves des abris souterrains. Une fois revenus à la surface, dans ce monde oblitéré, ils constatent que l’aide internationale –leur dernier espoir– n’est jamais venue. Ils comprennent vite que l’Extérieur a déclaré le blackout sur l’Europe. Ils sont enclavés. Peut-être pour l’éternité.

Ils songent à leur gouvernement. Et combien celui-ci a échoué à les protéger. Ou plutôt combien il a contribué au cataclysme. Cependant, deux nations parviennent à renaître de leurs cendres : la France et l’Italie. Mais elles ont tôt fait de se reconstituer une armée et de se disputer la zone fertile du Delta du Rhône. Conséquence : énormément de morts supplémentaires, d’autant plus inutiles que la zone du Delta du Rhône fut vitrifiée à l’occasion par les attaques thermiques. Cette zone, nommée aujourd’hui la Nomase Lande, n’abrite quasiment plus aucune forme de vie.

Le conflit provoqua l’effondrement des deux nations phœnix et sonna le glas d’un retour à la société hiérarchisée et ordonnée de l’Âge d’Or.

En sus de la désillusion post C-Day, plusieurs autres facteurs expliquent ce faible regain de civilisation.

L'oubli

Il prive les humains de modèles historiques de cités. Ceci représentera d’ailleurs une opportunité pour les humanoïdes tels que Neandertal, Gnomes, Patriarches et Corax, qui assoiront leur autorité sur les « Alzheimer » et contrôleront la nature des sociétés qu’ils aident à bâtir.

Toute organisation sédentaire doit s’appuyer sur l’agriculture et l’élevage :

Or, il est très rare de pouvoir défricher. Les terres arables disponibles sont insuffisantes à approvisionner une cité. Les villes sont dépendantes des échanges commerciaux avec les nomades, qui apportent les fruits de leur chasse et de leur cueillette. Elles restent très vulnérables en cas de siège ou de pénurie.

La difficulté des communications

Privées de support technologiques, les informations ne circulent plus. Les voyages à travers la forêt sont très risqués. Ceci bride la formation d’un État centralisé. Les premières nations qui réémergeront (les Royaumes Mèdes, l’Autriche-Hongrie, puis l’Espagne et l’Italie) seront donc de type féodal.

Les exceptions qui confirment la règle

Limites de l'oubli

Les retombées des missiles Alexandre II ont été moins intenses sur le pourtour méditerranéen. La population méridionale souffre donc moins de l'oubli : dead zone mémorielle plus éloignée, mémoire immédiate fonctionnelle, proportions de « Gnomes » plus élevées.

Cette limitation de l'oubli, ainsi qu’un climat plus aride –moins propice à la forêt– a favorisé le redéveloppement d’unités nationales (Al- Andaluz, Royaumes Mèdes, Carthage, Royaume de Sion).

La Scandinavie a également subi moins de retombées des missiles Alexandre II. Et son climat froid a freiné la progression de la forêt. C’est aujourd’hui la contrée où la notion de démocratie et d’humanisme est la plus avancée.

Le Village d’Hexperth

Vers 2394, le village d’Hexperth, au nord d’Albion, près du Mur d’Hadrien, a été le théâtre d’un génocide commis par l’ethnie Picte contre l’ethnie Saxonne. Aujourd’hui, les deux communautés cohabitent encore dans le même village. Victimes et bourreaux se côtoient sans qua’ ucun ne se rappelle la tragédie d’il y a 6 ans...

La Confédération Helvétique

La Suisse constitue une exception franche. Au lendemain de C- Day, les scientifiques helvètes qui travaillaient sur la mémoire cellulaire ont mis en évidence que les cellules pouvaient pallier aux défaillances du cerveau. Ils ont conçu un sérum qui guérit de l'oubli. La société suisse a donc perduré sans aucune perte de technologie. En revanche, c’est un pays extrêmement fermé, qui n’exporte pas ses privilèges dans le reste de l’Europe.

Une moralité pragmatique

L'environnement hostile, l'oubli et l'éclatement de la société ont modifié en profondeur la philosophie humaine. Rares sont les érudits à avoir étudié en détail cette nouvelle sociologie. On peut citer le grimoire de l'Al-Andaluzien Diego Ben Barka, Récits de voyage en Al-Milval et conclusions sur une moralité pragmatique.

L'ouvrage peut être résumé en ces termes :

« La disparition de la civilisation s'est accompagné de la disparition des valeurs de l'Âge d'Or : solidarité, liberté, équité. Bien qu'on n'en sache peu sur l'Âge d'Or, on peut imaginer que les choses étaient autres.

Aujourd'hui, il est difficile de faire confiance à son prochain, pour la bonne et simple raison qu'on ne lui est pas non plus loyal. Les ressources en nourriture, en technologie, sont si rares que l'intérêt individuel prime sur la communauté ; et seul une tyrannie féroce ou une utopie démocratique pourrait inverser le système. En temps de famine, le vol, le pillage, voire le cannibalisme, sont de mise. En temps d'abondance, il reste à détrôner le chef de tribu pour s'accaparer ses avantages.

L'environnement naturel est si dangereux que l'idée de mort est omniprésente. Et par conséquent, la mort devient anodine, autant que la violence. Tout le monde peut y passer à chaque instant, alors autant avancer l'heure pour certains si cela sert mon intérêt propre.

De toute façon, en perdant peu à peu ses souvenirs, comment s'attacher durablement à quiconque ? Même votre propre mère devient une étrangère et même si vous l'avez côtoyée chaque jour de votre vie, vous finissez par oublier les meilleurs moments que vous avez pu partager avec elle. Et un simple coup de colère vous suffit alors pour lui casser la tête avant de la violer.

Vous l'aurez compris, Millevaux n'est pas pour les agneaux mais pour les loups.

Ce n'est seulement quand on est devenu assez fort et aguerri, quand on a conservé sa lucidité à force d'une discipline de fer, qu'on peut envisager devenir altruiste et tenter de faire de Millevaux un monde plus accueillant, pour soi et pour les autres. »

Si Ben Barka est le premier à décrire cette « moralité pragmatique », gageons qu’il n’en fait pas pour autant une profession de foi. Parions plutôt qu'il aurait préféré vivre dans un autre monde, un monde où la forêt n'aurait pas été dominatrice, un monde où les hommes n'auraient pas eu à devenir des bêtes sauvages pour survivre.

Anarchie, mode d’emploi

Réorganisation difficile de la vie en communauté, très faible densité de population et moralité pragmatique font qu’en 2400, le concept d’autorité gouvernementale sur une nation est fort peu répandu. A vrai dire, les systèmes hiérarchiques ne dépassent jamais l’échelle d’une Cité- Etat ou alors sous la forme d’un système féodal (Empire d’Autriche- Hongrie, Al-Andaluz), où le pouvoir central n’exerce qu’un faible contrôle sur ses vassaux.

Si quelques villes ont ré-émergé en beauté (Venise, Barcelone, Rome, Vienne, Carthage), beaucoup d’autres ne sont en réalité qu’un conglomérat d’anarchies, une zone à forte densité sans gouvernement (Metro, Neuen Berlin, Istanbul, la Casa Negra).

On descend ensuite directement à l’échelle du village et de la tribu, avec leurs chefs, leurs prêtres ou leurs gourous qui changent au gré des émeutes ou des schismes. Rares sont les villes de taille intermédiaire entre le village et la capitale (Noirmont-Ferrand, Axe- en-Vengeance, Jaccio, Marly-Gomont).

Et puis, il y a les nomades, qui n’ont ni dieu, ni maître.

En général, le « citoyen lambda » n’a pas conscience d’appartenir à une cité. Il ne se soumet à aucune loi sinon celle du talion. Et seuls les tyrans ou les prophètes les plus persuasifs savent les tenir sous leur botte. « Les foules ne sauraient se passer de maître », disait Gustave Lebon. Mais deux siècles d’enfer vert ont mis à bas cet atavisme.

Technologie, sciences

Plusieurs types de technologies cohabitent :

Les reliques vulgaires

Il s'agit d'objets courants de la vie au XXème siècle (voitures, bouteilles, ordinateurs, armes à feu...). Mais les reliques vulgaires qui sont encore en état de marche en 2400 ont été manufacturées au XXIIème siècle, avec des procédés de technologie éternelle (matériaux ultra- résistants, batteries auto- rechargeables quasiment à l'infini, moteurs hybrides à très basse consommation).

Les reliques merveilleuses

Il s'agit d'objets manufacturés entre le XXI et le XXIIème siècle et qui disposent d'une technologie avancée (robots à intelligence artificielle, nanoprocesseurs, interfaces de réalité virtuelle, antibiotiques à mutation adaptative, grenades atomiques...). Rares sont les reliques merveilleuses encore en état de marche en 2400, du fait de leur complexité et de leur vulnérabilité.

Du difficile emploi des reliques

Plusieurs problèmes freinent l’emploi effectif des reliques, outre leur rareté : l’interdépendance des technologies, l’usure du matériel, l’absence de maintenance, la faible compétence des usagers et l’inadaptation à l’environnement.

Deux exemples, la voiture et le téléphone portable

Si on vient à trouver une voiture en état de marche en 2400, c’est déjà un miracle puisque cet engin a été fabriqué il y a au moins 200 ans (et la technologie éternelle a ses limites). Mais il faut encore trouver du carburant. L’essence est forcément une relique puisque aucun arrivage de pétrole n’est parvenu en Europe depuis l’érection du Mur de la Honte. Idem pour les biocarburants. Les voitures électriques posent un autre problème puisqu’il faut alimenter les batteries à partir d’une borne énergétique, quasi introuvable dans Millevaux.

Ensuite, il n’est pas assuré qu’un Millevalien, atteint de l'oubli et privé de tout système éducatif parvienne à comprendre comment piloter ce véhicule. Il faudrait d’abord savoir à quoi ça sert ! Et enfin, du fait que la plupart des voies carrossables ont été recouvertes par la forêt, cette voiture risque fort bien de rester au garage pour toujours...

Supposons maintenant qu’un Millevalien trouve un téléphone portable. Encore un miracle que ses batteries fonctionnent encore ! Mais plus aucune antenne réseau ne fonctionne, les opérateurs ont disparu depuis longtemps. De toute façon, il n’aurait personne à appeler, n’est-ce pas ?

La guerre des reliques

Pour clôturer le tout, beaucoup sont ceux qui se débarrassent des reliques aussitôt après les avoir trouvées. Parce que c’est « mauvaise médecine » et surtout parce que ça attire les ennuis.

En effet, les reliques en état de marche sont extrêmement convoitées. Détenir la technologie, c’est détenir le pouvoir. Vous pavaner au guidon d’une moto-cross devant un gazier mal intentionné risque fort bien de vous coûter la vie. Les reliques passent ainsi de main en main au fil des ans. On peut évaluer la richesse en matériel d’un homme à son manque de scrupules.

Little Ho Chi Minh Ville

L’annexion du Viêt-Nam par la Chine, vers 2120, a provoqué une vague de réfugiés vietnamiens vers l’Europe. Et notamment en Bavière, avec la création de Little Ho Chi Minh Ville, qui devint une plateforme industrielle en microcomposants et fibres nanorganiques.

Aujourd’hui, Little Ho Chi Minh Ville, dont la population reste majoritairement d’origine asiatique, est un grand bidonville où se concentrent bricoleurs, trafiquants et chercheurs de reliques.

Des vieilles camionnettes aux AK-47 de contrebande, en passant par les machines à orgones, tout se trouve, se répare, se customise et se marchande à Little Ho Chi Minh Ville, le Chaos des Reliques.

Les artefacts helvètes

Technologie développée par la Suisse pendant le XXIIIème et le XXIVème siècle. Ces objets sont très rares en dehors de la Suisse, du fait de l'enclavement volontaire du seul pays qui a conservé une science avancée à Millevaux.

Exemples : Seringues à sérum de mémoire cellulaire, technologie de clonage humain avancée, implants de survie forestière, fusils ioniques, etc.

Les artefacts extérieurs

Technologie développée en dehors de Millevaux pendant le XXIIIème et le XXIVème siècle. Du fait du blackout établi sur l'Europe, les technologies de l'extérieur sont quasiment introuvables à Millevaux.

Exemples : Implants neuronaux de connexion matricielle, vaisseaux spatiaux à fusion nucléaire, culture intensive des micro-végétaux, androïdes, chirurgie génétique des "puppets", armes à énergies, fabrication du Soleil Vert, etc.

La technologie endémique

Elle englobe l'ensemble des objets qui sont manufacturés par les millevaliens, à base de technologies redécouvertes ou réinventées. Le niveau technologique varie de l'âge de pierre à la Renaissance suivant les régions. L'élevage et l'agriculture sont quasiment inexistants, du fait de l'absence de terres défrichées pour le pratiquer. Les matières premières sont donc chassées, cueillies ou récupérées sur des reliques hors d'usage (beaucoup d'automobiles ont ainsi été désossées et refondues pour fabriquer divers équipements en fer ou des vestiges d'immeubles démontés pour construire des maisons).

Exemples : Art de la forge, construction navale (voile et rames), tannerie, textile, armes à feu rudimentaires (de type mousquet ou arquebuse).

Science

Comme au Moyen-âge, la science est redevenue le domaine des charlatans, des mythomanes et des approximateurs. Nous ne traiterons pas ici le cas particulier de la Suisse, qui sera abordé dans l’Atlas.

La démarche scientifique se scinde en deux mouvements interdépendants : l’archéologie des sciences et l’étude empirique.

L’archéologie des sciences

L’archéologie des sciences consiste en la recherche et l’étude des documents et manuels scientifiques de l’Age d’Or. La recherche archéologique est une tâche malaisée pour plusieurs raisons :

  • L’état catastrophique des infrastructures qui pouvaient héberger ces archives, l’inaccessibilité des sites perdus dans la forêt, l’impossibilité de lire les documents sur support électronique ou matriciel – majoritaires à partir du XXIème siècle –, l’usure avancée des livres.
  • Quand un manuel scientifique est redécouvert, l’épreuve ne fait que commencer. Il faut d’abord juger de l’importance et du sérieux du document. Ainsi, il n’est pas rare que des ouvrages de fiction soient interprétés comme de purs manuels historiques...
  • Ensuite, il faut disposer des connaissances préliminaires pour comprendre l’ouvrage, l’analyser et déduire ce qui peut être en mis en pratique. La bibliothèque de l’Académie de Vienne regorge d’ouvrages inutiles sur la mécanique quantique et le voyage spatial...

Pour un ouvrage analysé et exploité avec discernement, cent autres deviennent source d’erreurs, d’interprétations biaisées ou de mythes farfelus.

L’étude empirique

L’étude empirique consiste à découvrir ou redécouvrir des théories scientifiques dont la connaissance avait été perdue. En 2315, Progerius Khelvin Das Faust redécrit ainsi la théorie de la gravité, sans rien connaître de Newton.

Alors, quels sont les freins au progrès des connaissances ? L’absence de système éducatif, l’enclavement des villes qui empêche les savants de communiquer, l'oubli, la rareté des mécènes et enfin, la dureté d’une vie quotidienne, où le temps passé à l’étude est du temps perdu pour survivre.

Mais c’est l’absence de référence académique qui nuit le plus. Sans institution qui fournit les érudits et valide les théories, sans une communauté pour nourrir un débat critique, tout le monde peut s’improviser savant et y aller de sa réflexion fantaisiste.

En 2152, s’appuyant sur un livre-relique aristotélicien et sur ses observations, l’Abbé Servant de Gênes établit que la Terre est plate, que l’océan tombe dans l’espace quelques kilomètres au-delà du Mur de la Honte et que le Soleil et les autres astres tournent autour... Ce dogme cosmique a été entériné par le Vatican et reste encore aujourd’hui sa doctrine officielle...

État de l’art

Toutes les sciences ne sont pas égales face au délabrement de l’Ère Forestière. Mais dans l’ensemble, on peut considérer que les millevaliens ont –au mieux– rattrapé leur niveau du Moyen Age ou du début de la Renaissance.

Les niveaux de connaissance varient également suivant les régions et suivant les lieux. Les hommes les plus instruits se rencontrent de préférence dans les plus grandes villes, sous l’autorité d’un prince ou d’un seigneur, dans le pourtour méditerranéen.

C’est sur cette base optimale que nous allons établir l’état de l’art dans les différentes disciplines pratiques et théoriques.

  • Mathématiques : Le calcul, la géométrie et leur application en architecture sont bien maîtrisés. En revanche, les mathématiques modernes, le calcul matriciel et algorithmique ont été quasiment oubliés.
  • Physique-chimie : Regroupées dans une seule discipline, l’Alchimie, la physique et la chimie en sont revenus à leurs fondamentaux : le comportement des matériaux et des substances, la science des poids, des mesures et des proportions. L’alchimie est surtout hantée par des chimères telles que la pierre philosophale ou la transmutation. Mais la voie qui mène à ces chimères conduit parfois à de réelles découvertes. Les alchimistes sont souvent mal considérés. Au mieux, on les traite de charlatans, au pire de sorciers.
  • Mécanique : Certains mécaniciens sont capables d’entretenir un parc de véhicules-reliques, d’autres parviennent à construire des chariots à traction animale ou à vapeur.
  • Biologie : La biologie en est principalement au stade de la classification des êtres et choses vivantes. Les spécialistes se contredisent souvent quand à déterminer si le Sapin-Goule ou autre bizarrerie de l’Ère Forestière est une plante, un insecte ou bien... autre chose.
  • Médecine : La science qui pourrait être le plus utile est sans doute celle qui a le plus régressé. Médicastres, charlatans et rebouteux pullulent, décrivant les maux en termes d’humeurs, de flux polaires ou d’influences occultes... On revient au temps des saignées, des médications alimentaires absurdes, des lavements. Et les épidémies font des milliers de victimes.
  • Énergie : On sait identifier les carburants utiles pour une voiture-relique ou remettre en marche une ancienne batterie. Mais en ce qui concerne la production de l’énergie, on en reste à l’énergie mécanique ou au mieux la vapeur (généralement par combustion de charbon de bois). Il est plus ardu de générer de l’énergie électrique (ou alors à l’aide de turbines à vapeur ou de combustion d’essence, ce qui induit un faible rendement.). La filière nucléaire a été abandonnée. On ne sait pas produire de bio- carburant.
  • Informatique : si certains parviennent à utiliser les outils d’usage le plus convivial (appareil photo numérique, smartphone, GPS...), du moins dans les limites de l’environnement, la programmation et l’utilisation des logiciels les plus complexes reste un mystère. Quant à la technologie Internet, les réalités virtuelles ou les matrices par implants neuronaux, il s’agit d’inconnues totales.
  • Sciences humaines : Néant absolu. La religion et la philosophie y suppléent.

Era Obscurantis

Tous ces savoirs sont présentés ici à leur apogée. Mais ils sont rarement tous associés dans un même endroit. Au final, l’homme commun, celui qui mendie dans les rues ou vagabonde dans la forêt, cet homme-là reste une bête ignorante et stupide.

Religions

« Si Dieu nous a fait à son image,
alors Dieu est une bête sauvage. »

Millevaux paraît impossible à comprendre pour celui qui y vit. Il cherche des réponses et parfois la religion lui en apporte. Même si ce ne sont pas toujours les bonnes.

La religion joue un rôle important dans la conception du monde que les gens ont. Millevaux est une terre fertile en croyances, qu’elles soient héritées de l’Âge d’Or ou apparues ensuite.

L’ignorance du divin

Il n’y a sans doute pas de spiritualité sans espoir, aussi fou soit-il. Mais l’espoir n’a pas grande place dans la forêt. Et l’autorité est rare qui colportait autrefois l’opium du peuple dont parlait Marx : La religion. Dans les régions reculées, les peuples nomades ne s’interrogent pas sur l’existence de Dieu. Il ne s’agit pas d’athéisme actif et réfléchi.

Comme dans les temps préhistoriques, ils ne se posent juste pas la question. Somme toute, la principale croyance à Millevaux est donc l’absence de croyance, qui touche une moitié de la population. Ils vivent dans un monde sans Dieu, ils ne pensent pas à Dieu. Ils ont oublié le passé et ne songent pas à l’avenir, ils sont sous le joug du présent. Leurs seules pensées sont tournées vers la survie.

Les horlas

Les horlas sont une composante majeure de la spiritualité à Millevaux. Horla est le terme qui désigne ce qui est surnaturel, ce qu’on ne peut pas expliquer. « Les êtres et les choses qui vivent dans la forêt et sont plus forts que nous. » Leur existence est un fait avéré dans l’esprit de tous. Non pas une conviction mais une constatation, par expérience personnelle ou par un faisceau de récits convergents. Les humains savent donc une chose : ils ne sont pas seuls. D’autres sont là qui pensent, qui ont une âme peut-être. Des créatures hétéroclites qui ont en commun laideur, sauvagerie et puissance surnaturelle. Des créatures qui inspirent la peur ou la fascination.

Leur présence est-elle justifiée ? Que veulent-ils ?

Représentent-ils le bien ou le mal ? C’est à chacun de trancher. Mais personne ne remet en cause leur existence. Chaque religion à Millevaux a une théorie à leur sujet.

L’animisme

La majorité des Millevaliens qui ont une religion sont animistes. Vivre dans la forêt, dans la brume de l'oubli et dans la peur des horlas, incite à attribuer un esprit ou une divinité aux éléments de la nature, à les craindre ou à les vénérer.

L’animisme en Millevaux n’a rien d’une mouvance structurée. D’une tribu à l’autre, chaque culte est différent et varie même sensiblement d’individu en individu. Il s’agit le plus souvent de croyances instinctives, non formulées, non normalisées. Les arbres, les grands mammifères et les cours d’eau sont les éléments auxquels on voue le plus souvent un culte. Chacun a sa recette pour s’attirer les faveurs de l’humus ou prier les lapins pour qu’ils tombent dans les collets. Et chaque comportement de l’écosystème a une explication métaphysique.

Les reliques ou les personnes peuvent également se retrouver au centre d’un culte. Les gens les plus influents (ou les plus fous) se font chamanes, prêtres ou sorciers et ont parfois une importance politique de premier plan, décidant des dates des chasses, des hommes à sacrifier, décrétant offrandes et rituels dont ils détournent parfois le fruit pour leur propre compte.

Certains horlas se manifestent parfois aux hommes et exigent qu’on leur rende un culte. Animés d’intentions malfaisantes, mystérieuses ou tout simplement incompréhensibles, ils peuvent manipuler des populations entières ou concentrer leur énergie sur une victime qui sera l’unique servante de leur culte.

Il arrive que des mutants ou des mutilés se fassent passer pour des horlas, avançant leur monstruosité comme un argument de leur divinité. Certains sont eux-mêmes persuadés d’être des horlas, tant ce terme n’a aucune définition précise.

Appelle-moi je ne parle pas
Pleure-moi je ne souffre pas
Offre-toi tu ne me sers pas

L’animisme n’est pas toujours en rapport avec la nature. Ainsi, la meute humaine grouillante de la ville de Métro, entassée depuis des générations dans des souterrains dont elle ignore tout des architectes, attribue un pouvoir à chaque élément urbain, certains allant même jusqu’à conférer une volonté globale à la ville, véritable déesse à part entière.

L'idole-avion

Quelque part au milieu du Massif Central, un avion se' st écrasé, à la verticale. Les autochtones vénèrent l'épave comme un Dieu qui les sauverait de la forêt. Ce culte peut être dû à sa taille colossale, à son caractère de relique de l'Âge d'or, à sa position qui lui donne une forme humanoïde.

Mais l'explication la plus probable est le souvenir atavique que les avions peuvent voler. Ces zélotes primitifs espèrent jour après jour que cet artefact miraculeux se réveillera pour les emporter dans les airs loin de Millevaux.

Des étrangers venus d'au-delà de la forêt ont-ils survécu au crash ? Le mystère reste entier.

L’animisme revêt donc de multiples formes : foi morbide ou sensuelle, ascétisme et symbiose avec la nature ou frénésie païenne, dévotion sereine ou terreur mystique, pulsions délirantes ou rituels codifiés se mêlent dans un tourbillon de superstitions.

Le druidisme

La résurgence du druidisme pendant l’Ere Forestière n’a pas d’origine concrète. Fut-elle initiée par ceux que les pierres levées encore intactes fascinèrent ? Ou par certains qui, en consultant les archives de l’Age d’Or, prirent les rites celtiques pour une spiritualité bien vivante alors que leur pratique avait disparu bien avant C-Day ? Ou par un évènement sans explication rationnelle ? Dans ce monde où la nature a repris ses droits, Cernunos, Teutatès et les autres Dieux celtes ont-ils repris leur existence ?

Nul ne saurait le dire maintenant mais les faits sont là : de la Bretagne aux Îles d’Écosse, des Plages Normandes à la Pointe de Terre- Calais, personne ne remet en cause la véracité des mythes celtes.

Stonehenge accueille à nouveau les cérémonies de solstices d’été, les druides récoltent des ingrédients dans les bois, les chefs de guerre sont inhumés sous des tumulus, on érige de nouveaux dolmens.

Les menhirs de Carnac, perchés sur les falaises, veillent en silence. Et les hommes les regardent rêver.

La religion druidique est parfaitement en phase avec son environnement. C’est dans la population celte qu’on constate la meilleure acceptation de l’écosystème. Les forces telluriques sont craintes pour leur force et implorées pour leur bonté. Les horlas sont eux-mêmes intégrés au panthéon celtique, divinités sombres, pulsions incarnées de la Nature, bénéfiques ou malfaisants.

Grandement respectés par leur tribus mais n’assurant qu’un rôle politique mineur, les druides se chargent des sacrements, de la médecine et de l’instruction des plus jeunes. Ils sont réputés pouvoir rendre les femmes fertiles et leur sang versé sur une lame accorde bonne fortune au guerrier.

Difficile de savoir d’où ils tiennent ce pouvoir mais les druides pratiquent la magie. Non pas une magie de charlatan ou d’illusionniste mais de la vraie magie. L’équilibre des lois physiques a été bouleversé depuis C-Day. Tout porte à croire que les druides ont reçu la capacité d’accomplir des prodiges autrefois réservés au domaine des contes.

Cette magie, les druides la puisent dans les forces de la nature. Plus exactement, dans l’emprise et l'égrégore. Selon qu’ils utilisent les principes sains (croissance, fertilité, force) ou les principes malsains (putréfaction, vermine, maladie), on distingue le druidisme blanc et le druidisme noir. C’est ici deux conceptions du monde qui s’affrontent.

Le druidisme blanc

Le druidisme blanc distingue deux volontés dans la Nature : la première, bienfaisante, symbolise le mouvement cosmique qui a permis l’ascension de l’homme et l’a placé au sommet de la chaîne alimentaire. L’autre, malfaisante, symbolise le parasitisme de la forêt par les horlas, leur volonté d’asservir ou de détruire l’homme, de faire régner partout la laideur et la pourriture.

Le druide blanc utilise le premier principe pour concocter des baumes de guérison, avoir des visions mystiques utiles à la chasse, insuffler la force dans le cœur des hommes. Et il lutte contre le deuxième principe par le biais de totems, de talismans, de potions ou d’invocations qui font office de contresorts. Mais le combat semble perdu d’avance.

Le druidisme noir

Pour le druide noir, l’homme n’est pas l’élu de la Création. Il est sur la Terre, comme toute autre créature, pour servir les desseins de Gaïa. Les horlas sont les hérauts de la volonté de la Nature, il faut leur obéir. Et si la Nature a décidé que le monde pourrirait, muterait et se corromprait jusqu’à l’abjection, alors si telle est sa volonté, il faut la respecter et servir cette cause.

Les druides noirs pratiquent la magie noire de façon quasiment instinctive. Ils peuvent empoisonner les sources, métamorphoser les fœtus dans le ventre de leur mère, forcer les femmes à s’accoupler avec des bêtes. Ils connaissent les plantes qui suppurent le poison et les animaux dont boire le sang apporte la rage. Ils peuvent faire pourrir un homme sur pied d’une simple parole. Ils peuvent hybrider les enfants aux choses et déclencher des épidémies.

Ils s’agenouillent devant les Mères Truies. Ils souillent, pervertissent et tuent mais ils le font sans haine. Ils le font parce que cela est juste.

Ils sentent dans la terre les pulsations du Bouc Noir aux Mille Chevreaux. Qu’ils l’appellent Cernunos, Shub-Niggurath ou Gaïa, ils le reconnaissent comme le maître de la création.

Et sa volonté sera faite.

L’Église Catholique Romaine

Les Européens du XXIIème siècle étaient massivement athées. La chrétienté n’était alors plus guère qu’un élément de folklore. L’effondrement de la civilisation lors de C-Day avait porté le coup de grâce à cette religion et il s’en est fallu de peu pour qu’elle disparaisse tout à fait. En 2300, il restait très peu d'Européens chrétiens.

Le Concile de Florence

En 2305, le Concile de Florence réunit les derniers cardinaux. On y décide, sous l’égide du Pape Pie XXIII, de redonner sa grandeur passée au catholicisme romain.

Des prédicateurs essaiment à travers tout le continent. Pionniers du renouveau catholique, ils risquent mille morts pour convertir les tribus païennes. C’est une ère de martyres et de persécutions pour les chrétiens. Mais les temps sont aux extrêmes. Cette campagne de réévangélisation, menée par des héros, des saints, des fous et des crapules, finit par porter ses fruits. C’est une époque de miracles et de révélations. On restaure les anciennes églises, on en construit de nouvelles. Les foules s’y entassent, pensant trouver dans l’Agneau Pascal un remède à leurs souffrances. S’appuyant sur la noblesse à laquelle il promet un renforcement des pouvoirs féodaux, le catholicisme parvient à atteindre une partie de population au nord de la Méditerranée en 2400.

Une Église Totalitaire

Le Catholicisme de l’Ère Forestière a plus à voir avec l’Église du Moyen Age, fondamentaliste et autoritaire, qu’avec celle de l’Âge d’Or, tolérante et œcuménique. Deux explications : La sauvagerie de l’époque favorise une chrétienté dure et les personnes à l’origine du Concile de Florence (principalement des Gnomes et des Neandertal) qui se basent sur l’adage « Qui connaît les réponses contrôle le pouvoir ». La chrétienté est pour eux le moyen d’établir une domination durable sur l’humanité. Le clergé se voit comme un contre- pouvoir aux royautés qui se forment. Le Vatican entend jouer un rôle politique au moins autant qu’un rôle spirituel.

Le pape, en interdisant les divorces et les bâtardises, entend contrôler les dynasties. Les dauphins doivent s’attirer les bonnes grâces de l’Église s’ils veulent être assurés de succéder légitimement à leur royal père.

Les évêques entendent les puissants en confession puis les font chanter. Les curés de village régentent chaque coutume et chaque pratique.

Les idoles animistes sont brûlées, les fêtes celtiques transformées en jours saints et les superstitions condamnées.

Si l’Église entend tenir les rênes des empires, elle entend également museler les pensées de chacun. La vie de tout homme doit être dictée par l’Évangile. Les sacrements règlent sa vie sociale, la piété régente sa vie intime, le droit religieux régente sa vie juridique.

Faire confiance aux êtres de la forêt est péché.
Marcher à quatre pattes est péché.
Frapper son prochain sans l’injonction de l’Église est péché.

Les horlas dans l’Évangile

Officiellement, les horlas et toutes les horreurs que recèle la forêt, sont assimilés au Malin et aux images de l’Apocalypse de Saint-Jean. Ils sont la marque des péchés humains, ils sont une punition divine. S’enfoncer dans les bois pour traquer ses bêtes ne servirait à rien : les horlas ne disparaîtront que lorsque l’homme sera purifié de ses penchants mauvais. La mortification et la piété sont donc la meilleure lutte possible contre ce péril.

Le Tribunal de la Sainte Inquisition

Officiellement, l’Inquisition n’existe plus. Les prêtres locaux se chargent des exorcismes et de la chasse aux sorcières, sans l’aval du Vatican.

Cependant, les hérésies se multiplient, l’Islam inquiète, les sorcières et les horlas pullulent. Certains cardinaux, tels que le jeune Giovanni Paulo Attorezzi de Venise ou Cortez Sandocar de Barcelone, envisagent sérieusement de refonder le Tribunal de la Sainte Inquisition.

La vérité sur le Pape

En l’an de grâce 2385 après Jésus-Christ, à la mort du Pape Jules XII, le concile élit le cardinal florentin Emiliano Cesare (Neandertal de la lignée Berlusconi), qui commence alors son règne sous le nom d’Innocent XVIII. Sa Sainteté a le charisme de ceux dont l’Histoire retiendra le nom. Il fait exhumer son prédécesseur, -qu’il déteste- et organise le Deuxième Concile Cadavérique, où la momie est jugée en procès public pour simonie et impiété. Suite au procès, le cadavre est démembré et jeté dans une fosse commune.

Innocent XVIII est de caractère inflexible. Contrairement à ceux qui l’ont précédé, il ne se laisse pas manipuler par les cardinaux. Il entend que son autorité ne soit jamais contestée puisqu’il a été élu par le Créateur en personne. Ses discours publics sont ambitieux. Il y parle d’éradiquer l’animisme, restaurer la grandeur de la civilisation et exalter la foi de chacun.

En 15 ans de règne, l’apparence du pape s’est beaucoup altérée. Il a pris du poids jusqu’à atteindre une obésité morbide. Sa peau est devenue verdâtre est boursouflée. Mais il demeure, plus que jamais, un meneur d’hommes sans équivalent.

On le soupçonne de s’intéresser davantage au pouvoir temporel que spirituel, d’encourager le fanatisme et d’avoir passé un pacte de non- agression avec l’Empire Ottoman. Mais aucune voix ne s’élève pour contester officiellement ses activités.

Le Pape est également le chef secret de la Loge Noire, une assemblée Neandertal qui aspire à précipiter la chute de l’humanité.

En vérité, ce pape-là n’a jamais cru en Dieu, bien qu’il en soit un ardent prosélyte. Son véritable culte va à la Mère de Toute Chair, une Déité Horla qui lui parle à lui seul et prétend être l'ambassadeur sur Terre de Shub-Niggurath. C’est l'emprise qui l’a enlaidi à ce point. Jusqu’à présent, ce pacte faustien n’a jamais été révélé mais le jour où cela arrivera, Innocent XVIII emploiera les grands moyens et fera ployer définitivement la bannière du Christ sous l’emprise du Bouc Noir aux Mille Chevreaux.

Les antipapes

Du fait des ambitions personnelles, de l’enclavement des nations et du chaos ambiant, l’Église n’est pas exempte de divisions. Pas moins de trois papes se sont autoproclamés et contestent la légitimité d’Innocent XVIII. Childéric V à Axe-en-Vengeance, Saint-Klausman à Neuen Berlin et même Otharius Ier, le pape nomade et mutant qui arpente les forêts d’Europe de l’Est pour répandre sa version de l’Évangile.

L’Église Orthodoxe

La foi orthodoxe se maintient en Slavosie et en Roumanie, sous la forme de petites communautés. Les popes ne font pas de prosélytisme excessif et restent proches du peuple.

Le Vatican a plusieurs fois reporté son projet de croisade contre l’Orthodoxie. La rigueur du climat en Slavosie et en Roumanie constitue leur meilleure défense contre une éventuelle guerre de religion.

L’Église Protestante

Divisée en multiples factions, à bout de souffle, l’Église Protestante ne s’est jamais aussi bien redéveloppée que sa concurrente Catholique. Et quand les armées catholiques prirent d’assaut les derniers fiefs protestants d’Europe du Nord et de l’Ouest, ils ne rencontrèrent qu’une résistance de principe. Avec la chute de Fort-Rocher dans les Landes, l’Église Protestante pousse son dernier soupir en 2380.

Quand bien même elle est officiellement éradiquée, certains conspirent à la faire renaître, principalement les déçus de la politique papale dans les rangs du clergé catholique. Cette dissidence néo- protestante a notamment pour instigateur le cardinal Heinrich Rosenbach de Vienne et la Loge d’Ébène à Venise.

Mais pour l’instant, cette résurgence de la foi protestante n’est toujours qu’à l’état de complot.

Syncrétismes

Partout en Europe, surtout dans les régions les plus enclavées, émergent des églises mixant chrétienté et cultes païens. On recense notamment l’Église Druidique en Albion, l’Ancre Vaudou sur l’ancienne plateforme pétrolière du Baron Samedi (au milieu de la Mer des Tyrans), la Chapelle Christo- Islamique à Cordoue ou encore le Mouvement pour l’Émancipation de l’Arbre-Christ en Pologne. Il va sans dire que le Vatican voit ces blasphèmes d’un très mauvais œil. Mais jusqu’à présent, le clergé est trop désorganisé pour faire face à ces nouvelles menaces.

Hérésies Chrétiennes

Les lacunes de communication au sein du clergé, la découverte d’archives et d’évangiles apocryphes, la colère des évêques floués ou l’illumination d’ermites ont provoqué la résurgence d’anciennes hérésies, pourtant disparues depuis le Moyen-âge. Ces schismes et ces réinterprétations sont le témoin d’une grande vivacité spirituelle et d’une remise en cause des modèles centralisés. Ils n’en sont pas moins ferments de conflits et de fanatisme.

Ces hérésies sont souvent très limitées géographiquement ou font l’objet d’un culte clandestin. Tant que leurs apôtres ne se font pas trop remarquer, le Vatican les laisse tranquille. Mais le jour où la Très Sainte Inquisition reverra le jour, la donne changera à jamais.

Le Nestorianisme

Le nestorianisme est une doctrine se réclamant du christianisme et affirmant que deux personnes, l’une divine, l’autre humaine, coexistaient en Jésus-Christ.

Rassemblés en Mésopotamie sous le nom d’Église Chrétienne Assyrienne jusqu’au XIXème siècle, les nestoriens connaissent une diaspora après leur persécution par les turcs pendant la Première Guerre Mondiale. Ce sont les descendants de cette diaspora qui répandent le Nestorianisme en Europe continentale après C-Day.

Certains penseurs au sein de l’Église nestorienne s’élèvent pour dire que la personnalité divine du Christ a provoqué les ténèbres de l’Ère Forestière, pour punir les péchés de la personnalité humaine du Christ. Cette interprétation est source de tension au sein de la communauté, qui craint également d’éventuelles persécutions par les catholiques.

Le Gnosticisme

Le Gnosticisme, mouvement spirituel très varié, s’est éteint au IIIème siècle. Ici, nous traiterons particulièrement du gnosticisme chrétien, celui qui revient à la surface vers 2350, sous l’impulsion de l’érudit Cervantès de Clèves.

Aux yeux des gnostiques, l’homme est prisonnier du temps, de son corps, de son âme inférieure et du monde. Les gnostiques en concluent : « Je suis au monde mais je ne suis pas de ce monde ». De ce point de vue, le monde et l’existence dans le monde apparaîtront mauvais parce qu’ils sont le mélange de deux natures et de deux modes d’êtres contraires et inconciliables. Le gnostique sera celui qui retrouvera son moi véritable et qui prendra conscience de la condition glorieuse, divine qui était la sienne dans un passé immémorial.

Le phénomène Millevaux explique le retour en fanfare de cette doctrine oubliée. Les périls de l’environnement confirment les gnostiques dans leur conviction que le monde est mauvais et n’est pas fait pour l’homme. Leur volonté de s’échapper de l’enfer forestier les pousse à rechercher l’illumination, ce qu’ils font souvent en menant des vies de reclus.

Le Gnosticisme est une hétérodoxie en plein essor. Le détachement étrange de leurs zélotes les expose souvent à la persécution.

Les disciples de Khlyst

Les Khlysty ou flagellants étaient les adeptes d’une secte russe, dont le nom dérive en réalité de « khlyst » (le fouet) et qui à l’origine s’appelait Khristoveri (les « croyants du Christ ») ou « Khristi ». Raspoutine aurait, à un moment de sa vie, été un Khlyst.

Cette secte est apparue probablement au milieu du XVIIème siècle, en 1645, et survécut jusqu’au début du XXème siècle. Ses membres pensaient pouvoir vaincre le péché par le péché. Les Khlysty considéraient la débauche comme une sorte d’étape purificatrice sur le chemin de la rédemption. Les Khlysty rejetèrent les livres et l’adoration des saints et croyaient en une communication directe avec un saint esprit, incarné en chacun. Cette idéologie gnostique s’accompagnait du rejet du clergé, mais les membres de la secte pouvaient librement se rapprocher de l’église traditionnelle. Ils ne reconnaissaient pas la Bible orthodoxe.

Les points centraux de la pratique de cette idéologie constituaient l’ascétisme, ou le végétarisme, et la flagellation, accompagné de transes rituelles appelées « radeniya », lesquelles prenaient parfois des aspects orgiaques. Lors de la cérémonie de transe khlysty, les participants dansent en tournant sur eux-mêmes au rythme des cantiques. Peu à peu la danse s’accélère en même temps que les chants s’affolent. Les danseurs, avec un fouet, se flagellent alors violemment les épaules, la poitrine, les bras et les mollets sans cesser la ronde infernale et atteignent l’extase orgiaque.

Le nombre d’adeptes chuta durant l’ère soviétique. Les khlysty n’avaient jamais été tolérés ouvertement. Ils furent persécutés dès le début du XXème siècle.

La secte survécut dans la clandestinité jusqu’à C-Day. À la suite du cataclysme, les Khlysty survivants profitèrent du chaos pour révéler leur existence au grand jour. Ils convertirent de nombreuses âmes en peine. Le mouvement s’est depuis radicalisé à l’extrême. Tortures, orgies sexuelles, boulimie morbide et festins cannibales sont désormais au menu de leur liturgie. Les Khlysty prennent également contact avec les horlas, qu’ils considèrent comme l’incarnation du Mal sur Terre et par conséquent porteurs de la vérité divine. Bien que chrétiens, et sous l’impulsion des horlas, certains Khlysty participent alors à des messes noires en l’honneur de Shub-Niggurath. La secte est aujourd’hui bien implantée en Slavosie et envoie des missionnaires jusqu’aux confins de l’Europe.

Néo – Hérésies

Outre les renaissances d’anciennes hérésies, Millevaux est également un terreau fertile pour les contre-dogmes et sectes inédites. C’est ce qu’on appelle les néo-hérésies.

Le Messianisme

En 2375, le moine Vladsilaw Garek croit recevoir la visite de l’Ange Gabriel : « Ne pleure plus, Vladislaw, car ces temps de ténèbres seront bientôt révolus. Le Christ qui est mort sur la Croix et ressuscité va revenir sur Terre et revivra sa Passion pour notre salut à tous. ».

Garek entreprit aussitôt de répandre la prophétie. Aujourd’hui, même après sa mort (il fut roué pour apostasie par le clergé varsovien en 2389), sa néohérésie, appelée le Messianisme, compte encore des adeptes.

Les Messianistes vivent pour la plupart en communautés autonomes. Ils font vœu de pauvreté et renient la notion de propriété. Leurs apôtres, qu’on considère comme de doux déments, sont fréquemment maltraités ou martyrisés par les populations catholiques. Mais ils n’ont pas pour autant perdu l’espoir que le Christ revienne un jour transformer Millevaux en jardin d’Eden.

La Chapelle de l’Expiation

Le créateur de la Chapelle de l’Expiation, Don Hernando Crusades, n’a jamais explicitement demandé à recruter des fidèles. La seule marque de son prosélytisme fut le discours qu’il prononça au sommet de la Sagrada Familia, à Barcelone, avant de s’immoler par le feu :

« Contemple tes péchés, peuple humain ! Contemple le monde qui t’entoure, il porte la marque de ton vice ! Écoute les témoignages de l’Âge d’Or, quand l’homme était plus pur ! En vérité je vous le dis, nous ne sommes plus dignes de notre Créateur ! La Forêt est sa punition divine, nous marchons à quatre pattes, la fille tue son père, le fils fornique avec sa mère !

Contemplez l’hideuse engeance que nous sommes devenus, aveugles à la bonté de l’Agneau Pascal ! En vérité je vous le dis, Dieu ne veut plus de nous ! Le Temps de l’Expiation est venu ! Nous ne sommes pas dignes de vivre sous les cieux ! Il est temps d’exécuter sur nous la sentence divine ! »

La première vague de suivants de Crusades accomplit un suicide collectif sur les rochers de Pampelune, un an plus tard.

La deuxième vague comprit qu’il fallait procéder autrement. Pour plus d’efficacité, il fallait reporter sa propre fin et prendre le temps de convertir les autres brebis égarées.

Et quand les Expiatistes seront assez nombreux, ils déferleront sur les impurs, les massacreront et les suivront aussitôt dans la mort. Et l’Humanité, cette honte pour Dieu, ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

Les Expiatistes sont principalement implantés en Al-Andaluz, dans la Florence et dans les Terres Franques. En attendant le jour qu’ils auront choisi pour le Jugement Dernier, ils se peignent le corps en noir et blanc, pratiquent des mutilations rituelles et s’arment lourdement...

Les Lazaréens

A l’âge de 16 ans, Astrid la Ravagée, orpheline, exhibe dans les rues de Vienne ses parents qu’elle dit avoir sorti de la tombe, « avec l’aide de Lazare, que Jésus avait libéré de la mort ». Ce prodige lui suffit amplement à recruter des disciples en masse. Avec eux et leurs proches qu’elle a ressuscités et réduits à l’état de zombies, figés dans leurs étapes respectives de décomposition, elle se retire sur le Mont Schwarzberg. Elle leur fait bâtir un gigantesque temple-mausolée.

Elle enseigne que la mort et la résurrection sont les étapes cruciales dans la vie d’un homme, la transition qui leur rend leur innocence originelle. Le fait que les zombies perdent la parole et la raison, et doivent se nourrir de chair humaine n’est pas mentionné dans ses prêches...

Astrid a enseigné ses techniques aux plus hauts gradés de ses prêtres. Ensemble, ils ont d’abord commencé à ressusciter des gens fraîchement décédés, puis des cadavres de plus en plus usés, remplissant les catacombes du Schwarzberg d’abominations rampantes. Désormais, ils invitent les plus fanatiques d’entre eux à s’immoler pour revenir sur Terre, purifiés de leurs péchés, sous la forme de macchabées mobiles qui parfois s’échappent dans la forêt en quête de nourriture....

La Mort est mon sauveur,
qui guérit mes peines.
La Mort est mon bourreau,
qui châtie mes fautes.
La Mort est mon berger,
qui connaît
toutes les réponses

L ’ Avare

L’Avare (ou « Lazare ») est un illuminé mystique, qui aurait survécu à l’attaque paradoxale sur Paris. La fracture dimensionnelle lui aurait conféré la vie éternelle. Serait peut-être un Hapt, ce' st-à- dire un double dimensionnel. Il aurait donc plus de 200 ans et se rappelle de tout. Il dirige une société utopiste à Relents, rassemblant de nombreux adeptes. Ils pratiquent une communauté de bien totale : la propriété privée y est considérée comme un péché. Refuser da’ ccorder des relations sexuelles à quiconque le demande est un péché. Les disciples de L’Avare lui vouent une dévotion sans limite.

Micro-Hérésies

Tous les hérétiques ne cherchent pas à rassembler un maximum de fidèles. Certains, schizophrènes, manipulateurs, antisociaux ou visionnaires, limitent le cercle de leur culte à l’échelle de leur village, de leur famille, voire de leur seule personne. Ils vivent en vase clos, illuminés de connaître la Vérité Suprême, soucieux de la garder pour eux seuls.

Le Faux Christ

Il n'a pas de nom.
Il est persuadé d’être le Christ.
Armé de sa fidèle hache,
il erre et répand la bonne nouvelle :
tout le monde doit mourir !

L’Islam

L’Islam est la première religion monothéiste à Millevaux, à égalité avec le catholicisme romain. Des marais de la Casa Negra aux tours de Gaudi, des ziggurats d’Istanbul aux pierres levées d’Ante-Bucarest, des racines de Neuen Berlin aux mosquées troglodytes de Sarajevo, ils prient le nom d’Allah. C’est un Islam paradoxal qui règne dans l’Europe de l’Ère Forestière, tourmenté entre le sunnisme des Lumières et les ombres de l’hérésie sheitanite.

L’Islam des Lumières

Entre 2000 et 2200, l’Islam, tel qu’il est pratiqué au Maghreb, dans le Proche-Orient et en Europe occidentale, subit une conversion progressive vers ce qu’on appelle « L’Islam des Lumières ». Modération et modernité de la religion mahométane ont deux explications géopolitiques : Épuisement ou abandon progressif de l’énergie du pétrole et enclavement politique du Maghreb et du Proche-Orient. La fin de l’ère du pétrole apaise grandement les tensions qui poussaient au fondamentalisme et au terrorisme. Quand à l’enclavement politique, il permet à une Arabie démondialisée de rester neutre dans les grands conflits qui toucheront l’Europe de plein fouet. C’est une ère d’autarcie et de paix, propice à l’introspection dans la foi et à la réflexion philosophique.

Suivant les préceptes du penseur indien Asghar Ali Engineer, chaque génération se voit reconnu le droit d'interpréter le Coran avec son propre éclairage, à la lumière de ses propres expériences. Les changements fondamentaux sont alors les suivants : libéralisation des mœurs, égalité entre l’homme et la femme, non-ingérence dans les gouvernements, abandon du djihad, œcuménisme. Les pratiques liturgiques restent en revanche sensiblement les mêmes. Ainsi, les femmes qui le désirent portent toujours le voile. Les horaires de prière, les jours saints et les lieux de pèlerinage demeurent, le porc reste un aliment interdit. Et les 5 Piliers de l’Islam (Dieu, la Prière, l’Aumône, le Jeûne, le Pélérinage) sont toujours d’actualité.

Après C-Day, le Maghreb et le Proche-Orient subissent les retombées du phénomène Millevaux, mais dans des proportions moindres que l’Europe continentale. Ce sont donc les civilisations arabes qui se redressent le plus tôt dans l’Ère Forestière. L’Islam des Lumières se maintient alors dans les Royaumes Mèdes, en Al-Andaluz et dans les communautés d’Europe continentale. Les sunnites sont majoritaires et les chiites minoritaires.

La communauté musulmane d’Al-Milval souffre de l’inaccessibilité de la Mecque, située derrière le Mur de la Honte. Nombreux sont les pèlerins à risquer leur vie pour franchir la Mer Rouge et gagner ce lieu saint où trône la Pierre Noire, à l’abri des miasmes de Millevaux.

La grande nouveauté de l’Islam en Ère Forestière est le hadith au sujet des horlas. Les horlas sont nommés en arabe Sheitan, ce qui signifie aussi le Diable. De fait la tradition musulmane est interprétée dans le sens d’une assimilation des horlas au Diable. Les Sheitan sont impurs. D’ailleurs on compte des porcs parlants dans leurs rangs. Le Sheitan veut guider l’homme vers la damnation et doit être craint et détruit par tous les moyens. « Sheitan ! » est même devenu une interjection populaire, désignant les êtres et les choses qui portent le mauvais œil. On raconte même que les populations bédouines savent reconnaître instinctivement des agents horlas, à l’odeur et l’aura qu’ils dégagent.

En 2400, suite à un endurcissement de l’environnement et aux troubles politiques régnant dans les Royaumes Mèdes, certains imams professent le retour à un Islam dur, avec une pleine application de la charia, l’exécution des apostats, et le port obligatoire de la burka pour les femmes. Mais jusqu’à présent, leurs voix se font faiblement entendre.

Des sectes et spiritualités para-musulmanes connaissent un regain d’activité. Par exemple, les marabouts du Sahara ou les Soufis des Balkans. Mais la principale dissidence vient de l’hérésie sheitanite.

L’Hérésie Sheitanite

En 2300, l’imam Souleymane Al-Zharwiji part d’Istanbul pour tenter le pèlerinage vers la Mecque. En chemin, il s’égare dans la région désolée qui sépare le Tigre et l’Euphrate. On ignore ce qu’il lui arrive exactement. Trois ans plus tard, il revient à Istanbul, sans avoir jamais atteint la Mecque.

Il aurait rencontré le Sheitan entre le Tigre et l’Euphrate, dans une aura de feu et de putréfaction. Ce dernier, accompagné d’un Ange, lui aurait dicté le texte de ce qui deviendra les Dix Mille Sourates du Sheitan.

Al-Zhawiji, entièrement converti à la cause du Sheitan et armé d’une puissante sorcellerie, échappe à la charia. Il commence à prêcher sa vision de l’Islam. Le Sheitan, loin d’être l’opposé d’Allah, serait son intermédiaire sur la Terre et aiderait les hommes à supporter les souffrances du monde forestier d’Al-Milval. Al-Zhawiji, non content d’affirmer que les Dix Mille Sourates du Sheitan sont un hadith dont l’étude doit s’additionner à celle du Coran, exhume l’une des versions originales arabes du Kitab-Al-Azif (ou Necronomicon, le livre du dément et hétérodoxe Abdul Al-Hazred, écrit vers 700 dans la ville de Damas). Il distribue des reproductions de l’ouvrage et souhaite que leur étude soit intégrée dans la tradition musulmane.

Les prêches d’Al-Zhawiji obtiennent de rapides résultats. Ceux qui osent le traiter de mécréant ou d’infidèle sont assassinés ou exilés. L’Hérésie Sheitanite (telle qu’on la nomme depuis les Royaumes Mèdes) se répand comme une traînée de poudre dans tout l’Empire Ottoman.

Bien qu’Al-Zhawiji présente sa religion comme étant le seul véritable Islam, il est clair qu’il en détourne tous les principes. Le blasphème sheitanite est une foi pervertie où le Sheitan a une plus grande importance qu’Allah. On demande aux sheitanites de faire confiance aux Mères Truies, de laisser la Nature faire ce qu’elle veut. Les grands imams sheitanites dirigent des harems clos, on ignore ce qu’il advient des femmes infortunées qui y sont envoyées. Les ziggurats d’Istanbul résonnent de cris atroces. La jungle s’étend en Turquie plus que partout ailleurs, et des miasmes sans précédent s’élèvent des marais, exterminant les chrétiens, les kurdes et les arméniens.

Même si les Royaumes Mèdes emploient tous leurs moyens dans l’éradication de l’Hérésie Sheitanite, il est clair que cette dernière connaît une expansion irrépressible. Les moudjahidin envoyés en Turquie assassiner les faux imams ne reviennent jamais attester du succès de leur mission.

Le Mythe Phénicien

Vers 2250, lorsque l’imam Amin Abd al-Nefer survit à l’incendie de la Mosquée de Tunis, c’est pour perdre définitivement la raison. Il prend alors le nom d’Hamilcar Gilgamesh Barca. Il fonde la compagnie des Trente Puniques, un ramassis de tyrans, de gourous et de sadiques. Et entreprend avec eux de restaurer la grandeur de l’empire phénicien carthaginois. Il veut faire renaître Carthage en tant que théocratie totalitaire, avec au sommet de ses préoccupation le culte qui sera rendu aux deux principaux dieux du panthéon phénicien : Baal Hammon (ou Moloch-Baal) et Tanit.

Les Trente Puniques, avec à leur tête Gilgamesh le Grand Brûlé, profitent des guerres de religion qui secouent la Tunisie et l’Egypte (schismes islamiques d’abord, puis guerre ouverte entre l’Islam des Lumières et l’Hérésie Sheitanite) pour rallier au Mythe Phénicien tous les mécontents de l’Islam.

Quand vers 2350, Carthage s’affirme comme une nation à part entière, couvrant les territoires des anciennes Egypte et Tunisie, Gilgamesh le Grand Brûlé a 120 ans. Il a depuis longtemps sombré dans la démence la plus totale. Avant de mourir, il a pu affermir la toute-puissance du culte. Neandertal de la Loge Noire, il a refaçonné le Mythe Phénicien en illusion de la grandeur antique, derrière laquelle se cache un système entièrement voué à l’autodestruction.

Le Mythe Phénicien selon Gilgamesh, de la façon dont il est pratiqué avec zèle dans cette nouvelle Carthage, est tout au plus une parodie macabre et flaubertienne de l’original antique. Les pratiques barbares sont monnaie courante, la civilisation toute entière est autant tournée vers la cruauté et la décadence que vers le faste et le raffinement. Une cohorte de dieux terrifiants s’associe à Moloch et Tanit pour composer le panthéon. Le clergé phénicien a tout pouvoir sur le gouvernement, les cérémonies de dévotion à Tanit et à Baal rythment la vie de tout un chacun.

Tanit

Tanit est la déesse chargée de veiller à la fertilité, aux naissances et à la croissance. Certains l’associent à Shub-Niggurath mais il s’agit d’une déviance du culte. Bienveillante et mystérieuse, ses attributs divins sont la lune et les serpents. Tanit représente en quelque sorte l’aspect positif d’une religion qui en comporte peu.

Les servantes de son culte ont d’ailleurs pour habitude de s’accoupler avec des reptiles géants sous l’influence de drogues mystiques. On pense les prêtres de Tanit capables de concocter des potions contre la stérilité, ou de guérir de l’oubli.

Moloch-Baal

Baal Hammon est le dieu de la fécondité et des récoltes. Il est également associé au soleil et à la guerre. Révérer Baal, c’est adopter une doctrine où la force et la cruauté ont plus d’importance que le partage et la miséricorde. Baal est un Dieu qui accorde peu. Il préfère conseiller à ses fidèles de prendre aux autres ce qu’ils méritent.

Les prêtres de Moloch ont une influence majeure sur la politique punique. Ce sont eux qui décident des guerres, des accords commerciaux et des grands travaux.

Au sommet de Carthage trône une immense statue en fer de Moloch. Cette statue ouvre une gueule où brûle un brasier en permanence. Ses bras articulés permettent d’y jeter des offrandes. En cas de situation catastrophique pour Carthage (épidémie, invasion, famine), les prêtres ont toute latitude pour décréter des sacrifices d’enfants à Moloch. En cas de force majeure, chaque citoyen devrait même livrer son premier-né s’il n’a pas atteint la majorité.

Le judaïsme

Le Judaïsme a subi beaucoup moins d’altérations que les autres grandes religions monothéistes lors de l’Ère Forestière. On peut cependant noter que les horlas sont considérés comme démoniaques. Suivre les préceptes hébreux, c’est bannir les horlas de sa vie et lutter contre eux.

Certains juifs ashkénazes pensent que l’interprétation kabbalistique du Talmud est la clé de l’éradication des Azazélites (terme hébreu pour désigner les horlas, en référence à Azazel, le Démon du Désert. Dans ce but, ils passent de longues heures à le traduire en codes chiffrés et en formules ésotériques. L’objectif ultime de cette quête aussi mathématique que spirituelle est la découverte du Cypher, ou code suprême, qui renfermerait le vrai nom du Créateur.

On rencontre des communautés juives partout en Europe. Elles sont plus ou moins bien tolérées selon les régions où elles se trouvent. De nombreuses communautés juives vivent en paix avec les autres chapelles dans les Royaumes Mèdes, en Al-Andaluz. En Germanie, on dénombre d’importantes populations de juif ashkénazes. Certains ont hybridé leur religion avec les cultes païens ou chrétiens. À ce titre, la Synagogue Sacrée d’Irminsul, en Forêt Noire, est une déviation remarquable. Les rabbins d’Europe continentale se confrontent volontiers au clergé d’autres religions lors de discussions talmudiques enfiévrées, ce qui conduit parfois à de subtiles modifications et remises à jour de la Torah.

Le ghetto de Prague, véritable laboratoire spirituel, voit émerger de nombreux courants de pensées et notamment les Golemistes Noirs, qui défendent l’usage kabbalistique de la Magie Noire, arguant que la sorcellerie ne porte pas de péché intrinsèque et que seul l’usage qu’on en faut peut déterminer le résultat est bon ou mauvais.

Les Juifs sont persécutés à Carthage, en Florence et dans l’Empire Ottoman. Mosché Brandt, Neandertal de la Loge Bleue, dirige la Fratrie Aleph, un mouvement clandestin de turcs opposés à la tyrannie sheitanite, qui comprend aussi bien des juifs, des musulmans, des kurdes ou des athées. La Fratrie Aleph paye un lourd tribut de martyrs chaque année.

Le Royaume de Sion (anciennement Israël) constitue une particularité puisqu’il s’agit d’un État entièrement hébreu. Les hébreux du Royaume de Sion n’ont plus guère de contact avec les tribus restées en diaspora, ce qui conduit à une divergence progressive du dogme entre Israël et le reste de l’Europe.

Spiritualités orientales

Hindouisme, confucianisme, taoïsme et bouddhisme coexistent également à Millevaux, au sein des populations asiatiques issues de l’immigration de l’Âge d’Or. Ces cultes sont en général très discrets, surtout dans les contrées où l’oppression religieuse est forte.

Au regard de ces cultes, les horlas sont considérés comme une simple spécificité de l’environnement.

Dans cette civilisation très métissée, certains occidentaux « de souche » pratiquent le bouddhisme ou l’hindouisme tandis que beaucoup d’orientaux sont convertis depuis des générations au christianisme, à l’Islam ou au druidisme.

Conclusion sur les religions

Ce panorama des religions millevaliennes permet de constater un foisonnement spirituel à l’image de l’écosystème, avec ses embranchements, ses mutations, ses souches pourries et ses jeunes pousses.

De nombreux micromouvements n’ont pas été énumérés ici, tels que le panthéisme, le culte d’Irminsul l’Arbre-Dieu en Saxe ou la mythologie nordique, parce qu’ils constituent des exceptions très limitées géographiquement et seront plutôt évoqués dans l’Atlas.

Au-dessus de ces religions disparates, en perpétuelle guerre, en perpétuelle remise en question, plane l’immense ombre horla et le culte à Shub-Niggurath, qui menace un jour, sous une forme ou une autre, de devenir le culte unique.

Culture et traditions

Une culture balkanisée

Parler de culture et de traditions à Millevaux, c’est d’abord parler de diversité. L’Europe culturelle est davantage une constellation de micro- milieux qu’un réseau interconnecté. La norme, c’est de ne pas suivre la norme. Il suffit de changer de tribu pour changer de monde. De surcroît, ce continent a derrière lui un très long passé d’immigration et de mélange culturel. Ce métissage reste flagrant, malgré deux cent ans d’enfermement et d’immobilité des populations.

Il est donc impossible de dresser un tableau exhaustif. On peut en revanche décrire les mécanismes évolutifs de la culture et comprendre comment ils peuvent se décliner selon les contrées et les peuples. On abordera ici la culture au sens le plus large, incluant tout ce qui fait la tradition d’une société. Linguistique, économie, guerre et paix, manifestations populaires, arts.

Une linguistique rapiécée

L’Europe de l’Age d’Or était en passe d’adopter une langue unique, l’anglais. Langue du capitalisme, langue des sciences, langue de l’occupant américain. Si beaucoup refusaient cet état de fait par nationalisme, tout le monde était bilingue. Même l’occupant chinois publiait ses communiqués avec la traduction anglaise. C-Day a décapité net cet idéal de langue universelle, et rouvert en grand les portes de la Tour de Babel.

Dans l’Ère Forestière, une semaine de marche, c’est l’unité du bout du monde. Les survivants ont rejeté l’anglais pour reprendre l’idiome national. L'oubli aidant, l’unité linguistique s’est encore morcelée, à l’échelle de la région, de la contrée, du coin. On ne parle plus ni français, ni italien, ni croate, on parle la langue du coin. Le patois, le sabir, le baragouin, ont remplacé les anciens académismes. De surcroît, la disparition des livres, la régression intellectuelle, l’obscurantisme, ont fait leur œuvre : Millevaux compte une majorité d’illettrés.

Et là où la tradition orale domine, l’orthographe ne signifie plus rien. Les voyageurs au long cours et les rhapsodes constatent bien ce morcellement : Un gazier de Terre-Calais n’entrave que pouic à la jacquetance d’un zigue d’Axe-en-Vengeance. On peut en revanche reconstituer le processus de création de ces sabirs locaux. En cernant ce processus, un linguiste confirmé pourra déceler la fange originelle de toutes les langues et se faire comprendre partout où il va. Enfin, dans un rayon d'une semaine de marche...

La langue à Millevaux découle de plusieurs sources différentes :

  • La langue nationale de l’Age d’Or.
  • Une base principale d’argot, car c’était le principal champ lexical des survivants (on ne parle pas de la même façon dans un pays en ruines que dans l’hémicycle d’un parlement).
  • Des anglicismes retranscrits dans l’accent local.
  • Des expressions spécifiques à la localité.

Ajoutez à cela un long abâtardissement et vous obtiendrez un baragouin à la fois moyenâgeux et pragmatique, la langue hirsute et pittoresque des forestiers.

En terme de jeu, en tant que Meneur, je peux avoir envie de retranscrire l’ambiance en employant moi-même un langage insolite et en incitant mes joueurs à faire de même. En procédant sans caricature, en adaptant simplement son niveau de langage au contexte, j’obtiens une belle sensation de réalisme. Pour adopter ce langage, je m’inspire des nouvelles d’ambiance incluses dans ce livre ou je me réfère à ce petit lexique, valable pour les Terres Franques, où l’on parle un patois issu du français.

Petit lexique des Terres Franques

En français : En franquois
une personne : un gazier, un zigue, un pécore
étranger : Horsain
un pauvre : un gueux, un capselesse
un riche : un mange-cresson
un mutant : un maletrait
un lépreux : un ladre
nourriture : bouffe, becquetance, graillon
gourde, récipient : Boutanche
armagnac : Maniac
cognac : Gnac, Niac, Niaque
la forêt : la verte, la touffue, la canarde
démon, créature surnaturelle : Horla
quelque chose de dangereux, de déconseillé : mauvaise médecine
la mémoire : la creuse, la flancheuse
flash-back : Flachebaque
Argent, ou matériel bon à troquer : du grisbi, du remplit-fouilles
des caps : des jetons, des pions
les pillards : les écorcheurs
la ville : la ruche, le beston, la cabane
Habits : frusques, nippes
un véhicule à moteur : un trucque, une tocante, un chartotal
de l'essence : de la fraîche, de la sanguine, de la came

La langue des lettrés

Parmi les nantis de Millevaux, il est proscrit d’utiliser la langue du vulgaire. C’est un véritable idiome parallèle qui voit le jour dans les hautes sphères de la noblesse et du clergé. On y parle une langue académique issue des ouvrages de l’Âge d’Or, une langue précieuse qui se mouche dans la soie et ne va jamais se salir les chausses dans les mêmes ruelles que les manants.

C’est une langue étrange, qui emprunte aussi bien aux formules de la Renaissance qu’au jargon des conseils d’administration du XXIème siècle, voire... aux émissions de télé-réalité.

On paye à prix d’or des précepteurs pour qu’ils vous enseignent le juste mot pour le juste discours, celui qui fera définitivement sortir votre ramage du ruisseau. Mais parfois, on omet de vérifier leurs sources... Et ceci peut aboutir à des citations absurdes. Comme lors du plaidoyer que le bon antipape Childéric V fit sur le parvis de la Cathédrale d’Axe-en- Vengeance : « En vérité, bon peuple chrestien de Provansse, vous estes les plus dévots et les plus miquets-mouzes des peuples ! ».

De la volonté d’unifier

« Qui se fait comprendre contrôle le pouvoir ».

Encore un adage que les puissants de Millevaux aspirent à mettre en œuvre. Aussi tentent-ils de faire disparaître les sabirs locaux au profit de langues internationales.

L’Église Catholique Romaine prescrit ainsi que les offices soient célébrés en latin et non en langue vulgaire. Elle souhaite également imposer le latin pour les lettres et les sciences. Enfin, ce qu’ils prennent pour du latin, qui est plutôt un douteux mélange de latin, d’italien et d’anglais...

Le clergé musulman tente de même avec l’arabe coranique, et le clergé orthodoxe avec le russe.

Etymologie du terme « Millevaux »

Millevaux est un terme franquois qui désigne aussi bien les Terres Franques que le monde connu dans son ensemble.

On pourrait y lire une référence à Malevil, le roman post- apocalyptique rural de Robert Merle ou au Plateau de Millevaches (aujourd’hui devenu les Morts-Plateaux) en Auvergne, l’une des régions où la forêt est la plus dense. Enfin, ce’ st sans doute une allusion au relief très vallonné, suite aux accidents sismiques de C- Day.

Une langue sans livres

Rares sont les littérateurs à Millevaux, où l’imprimerie peine à succéder aux techniques de copistes. Et encore plus rares ceux qui écrivent directement en langue vulgaire. Lorsque cette pratique deviendra courante, cela contribuera à fixer les langues et cimenter les nations.

Le premier ouvrage écrit en franquois est « la très véridyque Hystoire de Gargantua » d’Esthète de Rocanchour. Rocanchour est passé à la postérité sans jamais avoir avoué ces deux faits : Son roman était une fiction, et il avait entièrement plagié Rabelais...

Une économie sur les rotules

Si le langage à Millevaux n’est qu’un grouillement d’idiotismes, le chaos ambiant n’a pas non plus épargné l’économie. La complexe machine capitaliste de l’Âge d’Or est devenue un cauchemar altermondialiste.

La disparition des métiers

« Qu’est-ce qui nous occupe à temps plein ? La survie ! ». Dans ce monde anarchiste, personne n’a de compétence aboutie dans un domaine. Les gens sont plutôt des touche-à-tout. Hormis dans les microcosmes « civilisés », on n’embauche personne à temps plein pour une seule tâche. Tout est affaire de coups de main, d’opportunités, d’échange de services. Tu me répares ma mobylette et je te donnerai le fruit de ma chasse. Difficile de se spécialiser. On préfère bricoler, improviser, se diversifier. Peu à peu la notion de métier a presque entièrement disparu du monde forestier. Si architectes et parfumeurs peuvent espérer s’établir dans les grandes villes, on n’a pas besoin d’eux au milieu des Morts-Plateaux. La disparition de l’agriculture et l'oubli ont nomadisé les populations. Chacun va à sa guise, proposant pour vivre – quand il ne parvient pas à être autonome – d’exercer une palanquée de petits boulots. Avec la disparition des métiers, c’est l’économie dans son entier qui sombre vers l’oubli.

Le système monétaire. De l’Euro au troc

Dans les premières années suivant C-Day, les transactions se faisant encore en Euros, monnaie en circulation sur tout le continent. Mais l’absence de commerce extérieur, la pénurie, le climat constant d’insécurité et la disparition d’autorités financières fixant le prix des choses, entraînèrent une inflation telle qu’on n’en avait jamais connue, même dans l’Allemagne des années 1930. En 2201, une baguette de pain vaut 1 €. En 2210, elle en vaut 5000.

Tant est si bien que vers 2220, l’Euro – et tout autre système monétaire– est purement et simplement abandonné. Le troc devient alors la seule norme des transactions. Je t’échange un poisson contre une livre d’orge, je t’échange un Char Sherman contre un générateur électrique, je t’échange un guerrier numide contre deux esclaves sexuels. Bien évidemment, aucun marché constant du troc ne s’établit. Les taux de changes s’établissent d’homme à homme, au bagout.

Pour une poignée de caps

En 2250, à la grande foire de Salzburg, Nicodème le Petit Malin achète un chariot contre 50 capsules de bière (datant de l’Âge d’Or). « Tu pourras toujours échanger ça contre autre chose » annonce-t-il au vendeur de chariots. Du moins est-ce ainsi qu’on commence la légende des caps. Une autre légende raconte que les défenseurs des caps s’inspirèrent de l’antique jeu vidéo Fallout...

Vers 2300, les capsules de canettes ou « caps » s’imposent comme monnaie dans l’Europe entière. Elles ont toutes été manufacturées pendant l’Âge d’Or, aucune entreprise de boissons industrielles ne s’étant créée depuis.

On peut trouver différentes raisons à ce phénomène :

  • La faillite de l’Euro demeurait dans la mémoire collective et a empêché le retour de cette monnaie.
  • Les pièces étaient devenues très rares, du fait de la dématérialisation des transactions pendant l’Âge d’Or.
  • L’argent liquide ne devait comporter que des pièces, les billets étant trop fragiles et inadaptés à l’environnement
  • Au début de l’Ere Forestière, il suffisait de se pencher et de fouiller la terre pour trouver des caps. Assurément, leur adoption comme monnaie universelle a fait des heureux.
  • Aujourd’hui, les gisements de caps sont épuisés, stabilisant les flux monétaires.
  • Les caps sont des reliques, ils sont difficiles à fabriquer ou à falsifier.

Les caps sont donc venus suppléer en partie le troc. Aucun cours fixe ne s’est établi. Les valeurs des objets varient d’une ville à l’autre, voire d’un étal de marchand à l’autre. La plupart du temps, chaque caps a la même valeur. Mais parfois, on attribue des valeurs différentes selon le motif sur le caps. Ainsi, il est communément admis qu’un caps Guinness vaut trois caps Kronenbourg. Ne demandez pas pourquoi...

... Et pour quelques caps de plus

Vers 2380, Vladek le Pouilleux offre une tournée générale dans un rade de Saravejo. Rapidement ivre, il annonce :

« Vladek le Pouilleux, Vladek aux dents pourries, en a fini avec la misère ! Vladek est riche ! ».

En effet, Vladek avait découvert une ancienne usine Jupiler enfouie sous l’humus, avec un gisement de caps extraordinaire. Mais il ne profita guère longtemps de sa fortune. On le tortura à mort pour savoir où était l’usine. Aujourd’hui encore, le site est le théâtre de conflits armés pour la récolte des caps...

Les caps et l’argent en général n’ont souvent aucune valeur en dehors des villes. En pleine forêt, personne ne vous vendra un cuissot de chevreuil, même contre un millier de caps. Le système caps connaît aussi ses limites lors des voyages, car avec une seule unité faciale, les plus riches se retrouvent vite encombrés de dizaine de kilos de caps, difficiles à transporter discrètement.

Les valeurs refuges

On l’a dit, les nantis ne peuvent guère se satisfaire des caps comme seul capital. L’or et les métaux précieux restent pour eux des valeurs refuges. On a coutume de fondre les statues, les bijoux, les composants électroniques... et les euros, pour en faire des lingots.

Les nouvelles monnaies

Les Etats les plus puissants, tels que l’Empire d’Autriche-Hongrie, Al-Andaluz, Carthage ou les principautés italiennes, se méfient de la valeur caps et anticipent sa dévaluation. On y frappe à nouveau des monnaies en or, en argent ou en bronze, à l’effigie de l’empereur, du prince, ou du pape. Ainsi, on trouve des ducats en Florence, des doublons en Al-Andaluz. Pour l’instant, cette monnaie est réservée aux grosses transactions. Le taux de change en caps est variable et généralement calculé pour taxer les étrangers.

Le corporatisme

Si la notion de métier est délétère en campagne, elle prend tout son sens dans les grandes cités, où forgerons, fondeurs, joailliers ou alchimistes ont pignon sur rue. Les corps de métier ont tendance à se regrouper en corporations. A ceci plusieurs buts : Solidarité professionnelle, syndicalisme, image de marque, lutte contre la concurrence des contrefacteurs. Les corporations sont un premier pas vers un retour à la culture d’entreprise.

Les lettres de change

A Gênes, Hardbourg ou Vienne, des ateliers de notaires se transforment en banques primitives et convertissent les dépôts d’argent en lettres de change. Le voyageur peut emporter ses lettres de change avec lui et retirer des sommes, en caps ou en monnaie locale, dans n’importe quel comptoir. Ce système a le vent en poupe dans un climat de paix relative entre les nations qui sécurise les transactions.

La Guerre

En 2400, les grands États sont jeunes et faibles. L’environnement nuit beaucoup aux déplacements de troupes d’envergure. Pour ces deux raisons, les guerres entre États sont extrêmement rares. Pour l’instant. En effet, le Pape a plusieurs projets de croisade, les frictions entre les États Princiers de Florence s’intensifient, l’arrogance de Carthage inquiète ses voisins.

En revanche, les escarmouches sont déjà légion entre seigneurs locaux, entre États frontaliers. Ainsi, l’Empire Ottoman organise de nombreux raids contre la Transylvanie, le Pape aiguillonne les conflits entre barons, espérant récolter des miettes pour agrandir les États pontificaux, et les trois Sultans des Royaumes Mèdes sont en constante guerre d’usure.

Mais la principale menace armée demeure celle des pillards et des tribus barbares, chaque jour plus téméraires. Les rois et les princes n’ont pas assez de troupes pour les réprimer en force. Ces raids rétrécissent peu à peu les limites de leurs domaines. Les pauvres se claquemurent chez eux, par crainte des razzias et de la criminalité galopante.

Le Droit

La notion de droit varie sensiblement d’une contrée à une autre. Dans la majorité des cas, aucune autorité n’est présence pour poser des bases juridiques. La loi du talion prédomine. C’est à chacun de se faire justice soi-même.

Dans les tribus, on distingue les crimes contre les personnes, soumis à l’auto-justice et les crimes contre la tribu (trahison, vol de provisions, meurtre d’un dignitaire, infanticide), qui sont jugés par le conseil tribal. Dans les grandes villes soumises à une autorité féodale, trois systèmes juridiques coexistent : Le droit vulgaire, régenté par des tribunaux, traite des affaires courantes et des crimes. Le droit seigneurial peut à tout moment dessaisir les tribunaux de certaines affaires politiques et les rendre en charge. Le droit religieux prévaut en théorie sur les deux précédents.

Plus on monte dans cette hiérarchie, plus les droits de l’accusé sont ignorés (suppression des avocats, recours à la torture, lourdeur des peines...). Les peines sont souvent héritées de la loi du talion. Elles se déclinent en travaux de force, en supplices (on tranche la main des voleurs) ou en emprisonnement. Dans certaines villes, on préfère l’exil au système carcéral, trop coûteux. Ainsi à Métro, les grands criminels sont bannis à la Surface (ce qui équivaut presque à une mise à mort).

La Fête

Millevaux n’est pas uniquement le théâtre sordide d’une tragédie au quotidien. Les bons moments, les cérémonies et les grandes fêtes populaires viennent tempérer la misère des lieux. « La joie contre la peur », comme dit l’adage. Et en effet, le millevalien est d’un naturel festif. Faire ripaille et amusance est un moyen de se rebeller contre l’environnement.

« Regarde-moi danser, je ne suis pas mort. ».

La veillée, les sorties dans les tavernes, les histoires drôles viennent égayer les travaux de la semaine. Saltimbanques, trouvères et cirques ambulants rencontrent le succès partout où l’on est assez riche pour leur lancer quelques caps.

Dans les villes, quand un veuf ou une veuve se remarie, on organise des charivaris, des chahuts populaires. C’est l’occasion de tours pendables. On raconte à Leningrad que les noces d’Ivan Viy Petrovitch et d’Anastasia Medvedev ont duré dix ans. Elles n’auraient cessé que lorsque tous les convives furent morts d’ivresse.

Les fêtes religieuses rythment les saisons. Le Ramadan dans les Royaumes Mèdes, l’Eclosion d’Irminsul en Saxe, ou la Fête de la Vierge Noire en Al Andaluz, sont l’occasion de grandes réjouissances. Les fêtes laïques ne sont pas en reste : le Carnaval de Venise, le Mardi-Gras à Métro, la Fête du Danube en Autriche, sont autant de grandes manifestations populaires. On perce les tonneaux, la bière de lichen coule à flots, les ribaudes dévoilent leurs appas, les rires résonnent à faire péter les murs, et des fêtards ivres morts dansent dans les rues jusqu’à la crevée de la nuit.

« La joie contre la peur », encore une fois. Au Carnaval de Krunquerque, on construit un gigantesque char à l’effigie du « Roi Horla », avec du torchis, des ordures et des ossements. Au terme du Carnaval, le Roi Horla est brûlé, symbolisant la victoire de l’homme sur le surnaturel.

Les Arts

On l’a vu, les millevaliens ne sont pas opposés au divertissement, bienvenu pour apaiser le stress d’une vie quotidienne oppressante. L’art n’est pas en reste dans ce domaine, apportant son lot d’évasion et d’émotions esthétiques. Dans les jours suivant C-Day, l’art retombe au degré zéro des préoccupations. Comment fait-il pour retrouver toute sa place au sein de la société ? Cela s’est fait en plusieurs étapes.

Réappropriation

En 2230, Chalmand Le Brac expose « Les Noces de Guernica » de Picasso, tableau qu’il a trouvé dans les ruines du Louvre et dont il s’attribue la paternité. Il fut bien en peine de reproduire de nouveaux chefs d’oeuvre quand on lui en demanda...

Détournement

Les premiers artistes de Millevaux furent souvent des imposteurs, détournant des reliques de l’Age d’Or à leur propre profit. Avec parfois un manque total de jugement artistique, comme Ettore le Décrépi, qui restaure un kiosque à journaux, le renomme « Antre de Neptune » et le vend à prix d’or aux prélats florentins.

Assemblage

Ainsi les reliques, aussi anodines soient-elles, sont le matériau favori des premiers artistes. En témoigne cet « Horla surgi des eaux », toujours exposé à l’Académie de Vienne et entièrement fabriqué à partir de sacs de supermarché.

Fréquence courte

Pendant 5 ans, Piotr Scizclak animait depuis sa cabane la station « Radio Frondaisons », de 17H à 19H. Ils étaient des dizaines à écouter sur leurs CB les calembours et les anecdotes pittoresques de Piotr (généralement des ragots sur les habitants de son village). Mais l’épisode de Radio Frondaisons le plus drôle fut certainement le dernier, lorsque Piotr fut dévoré en direct par un ours arboricole...

Le retour aux arts premiers

Mais la véritable révolution artistique n’a pas lieu dans l’antichambre des rois, mais parmi la plèbe, en plein cœur de la forêt primale. L’art s’y fait instinctif, dépouillé des références de l’Âge d’Or. On utilise les matériaux et les techniques les plus simples. Cet art vise tout d’abord à représenter le monde, voire à le fixer dans la mémoire, manière de lutter contre l'oubli. C’est un art brut, sauvage, tourné vers les choses du quotidien et vers les esprits animaux.

L’art partout

« Rien ne nous appartient, alors tout nous appartient », dit l’adage. L’art millevalien ne saurait s’imposer de contrainte ou de territoire. On couvre les murs de graffitis, on écrit sur les arbres, on dessine sur les vitres, on démonte les vestiges pour faire des sculptures. L’artiste se rebelle contre la propriété, contre le droit d’auteur, contre toute forme de censure. Chacun peut créer, modifier les œuvres des autres ou les détruire si en cela il pense faire acte de création. Poèmes pornographiques, fresques sanglantes, statues schizophrènes. L’art à Millevaux ne saurait s’imposer de limite.

L’art est aussi force de lutte contre l’environnement. En détournant la forêt, en la prenant pour support de ses œuvres, l’artiste dit non à l’esclavage de l’homme par la nature. Il reprend le territoire aux bêtes et exorcise sa peur.

Mais le support essentiel de l’art millevalien, c’est le corps humain. Scarifications tribales, tatouages et sarcomantie (cf. chapitre Sociétés Secrètes) recouvrent ou déforment les chairs. On porte des trophées de chasse à la ceinture, des pointes en os ou en bois sur le visage, des porte-clefs Pikachu dans les narines. On se recouvre de peinture et de sang, on se fait teindre les dents et les ongles. Certains cultivent même des lichens sur leur peau, dont ils régulent la croissance pour obtenir des motifs. L’art corporel permet d’affirmer son identité dans un monde qui en manque cruellement. Son identité et son appartenance à une caste. L’art corporel porte votre mémoire.

L’art corporel vous embellit, ou vous rend plus effrayant. L’art corporel est ce qui vous différencie d’un animal.

Le retour à l’art académique

Si dans les tribus et les populations nomades, les arts premiers prédominent, certains microcosmes sont en pleine Renaissance. Ainsi, dans les cours des princes et des prélats, en Florence, en Al-Andaluz ou à Vienne, il n’est plus question de totems ou de peintures rupestres depuis longtemps. De nouveaux Michel-Ange, de nouveaux Da Vinci entrent sur scène. Ainsi, le grand sculpteur réaliste Ottavio Primavera, avec son « Sangleloup Impérial » qui trône sur une grande place à Rome, où le peintre néo-pollockien Vernberg le Défroqué et sa série de tableaux abstraits : « Angoisses n° zéro ».

L’art sans technologie

Des graveurs d’écorce aux néo-pollockiens, une constante demeure : L’absence de technologie. Les reliques sont réservées à des usages plus pragmatiques que l’art. On peut noter quelques exceptions, telles que le film d’Otto Wladkin das Faust, L’Arche de Loreleï, première œuvre cinématographique de l’Ère Forestière, diffusée en 2370 à la Cour d’Autriche.

La musique

La musique reste l’un des arts les plus appréciés à Millevaux, car elle propose une satisfaction immédiate, se passe de référence culturelle et est à la portée de tout le monde.

Le Dernier Groupe de Rock du Monde

Ce’st ainsi que se présentent les Saxons du groupe « Irréversible ». Ils sont en effet les derniers à disposer de guitares électriques et da’mplis en état de marche et d’un générateur à technologie éternelle qui leur fournira encore du jus pour des années. A bord de leurs trois camions blindés, ils sillonnent les Voies Déchues, en éternelle tournée dans toute l’Europe. « Irréversible » prétend que tous ses tubes sont inédits, mais en réalité, ils font surtout des reprises des Melvins, des Sex Pistols et de Neurosis. Leurs gigantesques concerts en plein air rencontrent un succès monstrueux. Certes, ils jouent bien, mais surtout leur musique ranime le souvenir atavique d’une époque révolue, où le rock électrifié et des milliards da’ utres merveilles étaient à la portée de tout le monde.

« Irréversible » tient beaucoup à sa réputation de dernier groupe de rock du monde (du moins du monde connu). Et da’ illeurs, ils assassinent tout ceux qui possèdent des guitares électriques...

Les instruments de musique sont encore d’un style très tribal. Tambours pour la fête et cors pour la guerre. Chaque village dispose de son orchestre de tam-tams et de djembés, qui sont à l’honneur lors des fêtes saisonnières. Chacun danse alors jusqu’au bout de la nuit au rythme épileptique des percussions, gorgé de drogues chamaniques, au bord de la transe. Au-delà de cette musique festive et mystique, de plus en plus tentent une approche plus esthétique, élaborent de nouveaux instruments, ou découvrent l’usage d’instruments-reliques. Didgeridoo, accordéon, sons métalliques et cordes biscornues se joignent pour composer des mélodies jamais entendues dans l’Age d’Or. Et pour cause... Difficile de s’inspirer de la musique du passé quand il n’en demeure ni disques à écouter, ni partitions...

Sociétés Secrètes

Après avoir évoqué tous les aspects officiels de la civilisation en Ère Forestière, abordons maintenant des phénomènes plus souterrains. L'oubli et la faible densité de population ont facilité la culture du secret dès les premiers jours post-C Day. Si bien qu’aujourd’hui, toute une partie de la société est absorbée par des activités occultes. Nombreuses sont ces sociétés secrètes qui œuvrent en marge de la communauté, ou en son sein même, clandestinement. Leurs actions ont une portée décisive dans l’Histoire.

La Caste des Veilleurs

Initialement formée par un cercle druidique de Haute Bretagne vers 2300, c'est une organisation secrète à l'échelle de l'Europe. Son but est simple : neutraliser les horlas, et neutraliser Le Bouc Noir des Forêts et ses Mille Chevreaux, puisque c'est l'entité la plus présente et la plus active.

La Caste des Veilleurs fut d’abord officielle. Ses fondateurs pensaient qu’il fallait révéler au peuple la vérité sur les horlas, et les fédérer dans la lutte séculaire contre ce mal. Mais ça ne leur porta pas chance. Ils se heurtèrent à l’hostilité des incrédules, du clergé catholique et de nombreuses sectes affiliées aux horlas.

En 2310, de mystérieux tueurs asiatiques exécutent Carl Théodéric, le fondateur de la Caste. Un an plus tard, des veilleurs sont brûlés vifs dans le tumulus où ils se réunissaient. L’Archevêque de Relents en condamne d'autres à mort pour hérésie.

Depuis ces sinistres événements, la Caste des Veilleurs a fait croire à sa disparition pour mieux œuvrer dans l’ombre. Pour recruter, elle identifie les personnes qui ont été confrontées aux horlas et s’assure de leur droiture avant de les contacter. Les Veilleurs se reconnaissent entre eux par le motif d'un œil qu'ils se font graver au fer rouge sur la peau. La tâche des Veilleurs est une mission ingrate et périlleuse, réservée aux héros ou aux inconscients.

Cette société conserve et utilise des savoirs occultes dans sa lutte inégale contre les Entités Mythologiques. Elle regroupe également toutes les compétences technologiques et alchimiques possibles et mène une active recherche archéologique, afin de découvrir les causes de C-Day. Si la Caste des Veilleurs travaille en priorité à trouver les moyens d’endiguer le phénomène Millevaux, elle s’attelle également à éradiquer l’idolâtrie horla parmi les humains, effectuant des raids contre les cultes qui vénèrent le Bouc Noir ou d’autres entités.

La Caste des Nettoyeurs

Fondée par Nihil Pied-Bot en 2391, cette secte est une émanation radicale de la Chapelle de l’Expiation. Elle professe que Millevaux est une punition pour le péché originel des humains et les humains doivent périr pour guérir le monde. Vêtus de robes noires et armés de faux, ils écument à cheval les galeries de Métro, massacrant les pauvres et les malades. Ils sont d'abord appuyés par les notables de la ville qui voient d'un bon œil ce grand ménage. Mais Pied-Bot a de la suite dans les idées : "C'est pas parce qu'on commence par dératiser la cave qu'on va pas ensuite passer au grenier".

Les notables finissent par comprendre qu'ils y passeront à leur tour. Ils payent Verner Batignolles, l’un des Nettoyeurs, pour assassiner Pied-Bot. La Caste est alors dissoute.

Cependant, la plupart des Nettoyeurs ont survécu. Certains ont oublié qu'ils ont un jour appartenu à cette secte, et ont repris une vie normale, sous une nouvelle identité. Mais certains se souviennent. Et n’ont pas reculé. Parmi eux, certains partent à travers les Terres Franques, pour traquer Verner Batignolles et venger par sa mort l’assassinat de Pied-Bot. Ces traqueurs se sont tous mutilés volontairement et portent un pied-bot, en mémoire de leur maître. C’est par exemple le cas d’Hadjo-Lazari (cf. nouvelle d’intro de Société & Civilisation). Ils savent juste que Verner s’appelle maintenant le Balafré. L'oubli ne leur rend pas la tâche facile.

L’autre partie des Nettoyeurs survivants œuvre à faire renaître la Caste de ses cendres, et embauche les mercenaires, les enragés et les possédés parmi les pires des Terres Franques.

Les Traqueurs

Suite à l’indépendance de Mars en 2383 (cf. chapitre Historique), les colons Neandertal de Mars se sont retrouvé supérieurs en nombre aux colons homo sapiens, et ont entrepris de les exterminer. Certains humains ont réussi à s’échapper à bord de navettes interplanétaires. Une partie de ces réfugiés a échoué sur Millevaux. Ces exilés, ayant eu un aperçu de la culture Neandertal dans sa version la plus extrême, ne conçoivent pas que cette race humanoïde soit composée d’autre chose que de bouchers sanguinaires. Ils ont formé des autochtones de Millevaux. Ensemble, ils ont fondé la caste des Traqueurs.

Cette société secrète, si elle comporte de faibles effectifs, a en revanche des ramifications dans toute l’Europe. Son but est de donner la chasse aux Neandertal autochtones et de les éradiquer jusqu'au dernier. C’est une mission quasiment suicidaire, eu égard au pouvoir de ceux qu’ils appellent « Les Usurpateurs ». C’est aussi une gageure, vu le secret qui règne autour de ces humanoïdes, la parfaite étanchéité de leurs organisations clandestines, et leur ressemblance aux humains.

Les Écorcheurs

De nombreuses bandes de pillards écument Millevaux et y commettent les plus terribles exactions. Leurs cibles principales sont les caravanes qui empruntent les Voies Déchues (les anciennes autoroutes) et les villes et villages mal protégés. La faiblesse des hiérarchies civiles (particulièrement dans les Terres Franques) leur garantit une certaine impunité... Jusqu'au jour où certains hommes libres décident de ne plus se laisser faire et fondent des milices.

Quand les écorcheurs ont accumulé assez de butin, il leur arrive de dissoudre leur bande et de partir à l’aventure chacun de leur côté ou de s’établir en ville et se faire passer pour d’honnêtes citoyens. Nombreux sont les notables dans les grandes cités qui ont un passé de pillard. Et la plupart ont oublié cette violente étape de leur vie...

En parallèle, parmi les victimes de pillage, se forment des milices armées, qui se chargent de traquer leurs anciens bourreaux. Il s’agit parfois d’une véritable course contre la montre avec l'oubli. Certains assassinent des écorcheurs repentis qui ne comprendront jamais pourquoi ils sont morts, d’autres finissent par oublier leur quête première et se faire pillards à leur tour.

La bande d’écorcheurs la plus redoutée est celle de l'Homme qui Rit, un personnage sanguinaire qui a la bouche découpée d'une oreille à l'autre dans un rictus hideux. Elle écume la Beauce, le Massif Central et les contreforts de Métro sans rencontrer de résistance efficace. Leur ancien chef se nommait Attila, un nain aussi féroce que brutal. Celui-ci a disparu au cours d’une attaque. On ignore ce qu’il est advenu de lui (cf. la nouvelle Le Bon, la Brute et le Salopard.)

Les Adorateurs des horlas

Certaines tribus vénèrent des Entités Mythologiques et organisent fréquemment des rituels en vue d'accroître leur puissance. On note par exemple un culte rendu aux démons des Volcans d'Auvergne (certains se sont réveillés depuis 2200).

Certains de ses cultes, tels que la Confrérie Putride, ont des ramifications internationales. D’autres, telles que la Mano Senestra à Barcelone ou la Loge Carmine à Venise, sont implantés jusqu’aux plus hautes sphères de la société.

La Caste des Veilleurs a fort à faire pour identifier ses cellules cultistes, bien dissimulées et présentes sous des formes multiples. Il est également rapide de faire la confusion avec d’autres sociétés secrètes, telles que les Voies Corax ou la Confrérie des Masques d’Or. Celles-ci sont composées d’humanoïdes, que l’ignorant aura tôt fait d’assimiler abusivement à des horlas.

Les Sarcomants

L'art de la sarcomantie a été inventé vers 2370 en Transylvanie par Seung Lan Qyi, un Birman qui s'était réfugié à Millevaux pour échapper à la police militaire chinoise. Apothicaire émérite, il a élaboré le liquide sarcomantique à partir d'un mélange de sèves et de sucs digestifs issus de la faune et de la flore millevalienne. Ce liquide a la capacité de rendre l'épiderme extrêmement malléable. Seung Lan Qyi a commencé par l'expérimenter sur son propre corps, puis a fondé une véritable caste vouée à cette pratique. Les sarcomants ont une vision pervertie de l'intégrité physique. Pour eux, la chair qui recouvre un squelette humain n'est qu'un matériau d'expériences. Les sarcomants travaillent toujours avec gants de métal et foulards, et manipulent la chair grâce à de longues baguettes. Ils se font payer pour des travaux de chirurgie esthétique, des tatouages (en fait, des replis de peau « artistiques »), ou des tâches de bourreau. Certains font appel aux sarcomants pour se faire façonner un nouveau visage, dans le but de se faire oublier, ou d’usurper une identité.

Leur abomination la plus connue est le Supplice du Double Visage. Il consiste à étendre la peau du visage d'un supplicié jusqu'à en doubler sa surface. Ensuite, le visage est replié sur lui même, de sorte que la victime semble porter en permanence une atroce cagoule de peau. On voit ses yeux à travers des trous dans la chair, sa bouche est à l'intérieur d'une autre bouche, et ainsi pour son nez et ses oreilles. La peau est si tendue que les gencives sont apparentes, et les yeux paraissent plus gros.

Les sarcomants ne sont affiliés à aucun courant religieux, mais semblent adopter une doctrine mystique liée à leur discipline. Manipuler sa propre chair et celle des autres, au mépris de la douleur et de la pitié, leur permettrait de se rapprocher de l'extase révélatrice des réalités du monde. Certains sarcomants sont attirés par les cultes horlas. Ils verraient dans la magie noire le moyen d’étendre leur science de la chair, et c’est pourquoi on les rencontre parfois lors de sabbats ou de messes noires.

La caste a pignon sur rue dans plusieurs États (ainsi, à Rome, à Ante-Bucarest, à Varsovie) mais propose le plus souvent ses services de façon clandestine, par crainte des émeutes. En effet, l’art sarcomantique, sans doute trop avant-gardiste, a tendance à provoquer l’émoi des populations... La reine d’Espagne, Alexandra la Catholique, a ainsi recours en secret à leurs services pour des travaux de chirurgie esthétique.

Certains sarcomants louent leurs services comme mercenaires, et se battent avec un système de pompe qui projette du liquide sarcomantique sous pression. Effet garanti !

Apogée artistique, ou perversion totale ? Difficile de juger la philosophie sarcomantique, d’autant plus que tous n’en ont pas la même vision au sein de la Caste.

CONCLUSION DU CHAPITRE

« Sociétés & Civilisation »

Aussi amputée soit-elle après le désastre de C-Day, l’humanité à Millevaux n’a pas pour autant dit son dernier mot. Et aussi post- apocalyptique que soit la situation, une nouvelle civilisation a pris forme au cours de l’Ère Forestière, où se côtoient anarchie primitive et renaissance sociétale.

Millevaux accueille une population certes réduite et amoindrie, mais plus vivace que jamais.

« Regarde-moi danser, je ne suis pas encore mort ». Voilà ce que l’humanité pourrait dire aux horlas.

Oui, ces hommes ne sont pas encore morts. Ils naissent et vivent dans les brumes de l'oubli, ils se rebâtissent une technologie sur la carcasse des reliques à peine refroidies, ils interrogent la création dans un bouillonnement religieux, ils se construisent toute une culture

commune pour mieux la détruire, et la reconstruire.

Ils s’aiment, ils s’entre-tuent, ils conspirent, ils espèrent. Ils ne veulent pas disparaître sans raison.

Pas tout de suite. Pas maintenant.

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